Elle : Katherine Heigl, beauté blonde échappée de la télé (Grey’s Anatomy), avec assez de sens de la répartie pour jouer les ravissantes pas trop idiotes et pas trop sages, même dans des comédies qui le sont nettement plus (27 robes, En cloque, mode d’emploi). Lui : Ashton Kutcher, beau gosse échappé de la télé (That 70’s Show), mais aussi du mannequinat et de tout un tas de comédies à l’inspiration discutable, devenu depuis peu son propre producteur et désireux de se débarrasser de son image cinématographique d’ado attardé — même au prix d’essais à la maturité prétentieuse comme Toy Boy. Son personnage à elle : une trentenaire encore trop dépendante de ses parents à son goût. À lui : un tueur de la CIA qui, à la seule vue de la belle, décide de se ranger, en se gardant soigneusement de lui révéler ses désormais anciennes activités. Ces deux-là ne convolent ni au début ni à la fin, mais au tiers du film, ce qui laisse le temps au film de se présenter, dans un long prologue niçois lorgnant vers GoldenEye, comme un savant numéro de jonglerie entre comédie romantique et scènes de cascades et d’opérations jamesbondiennes. Puis, une ellipse de trois ans de ménage supposé heureux, que les époux devront néanmoins réévaluer les yeux dans les yeux et en catastrophe, tandis qu’ils fuient une cohorte d’assassins ayant infiltré leur voisinage de banlieue pavillonnaire dans le but d’éliminer le mari.
« Différence de régime »
Tout de même, le premier couple mal assorti qui saute aux yeux dans ce film est le mariage entre la comédie romantique/conjugale et le divertissement à gros calibre et montée d’adrénaline : ces deux conjoints se succèdent l’un l’autre tandis qu’on se demande régulièrement ce qu’ils font vraiment ensemble — ou plutôt ce qui les incite à être ensemble. Il faut dire que ces deux versants du spectacle sont traités comme des entités séparées — néanmoins avec un même manque de personnalité. Pour l’action, les plans aériens et en plongée, les vues par satellite, la petite musique de corrida pour la touche discrète de second degré. Pour la comédie, on pose la caméra et on laisse les deux stars faire leur scène (de drague, de ménage…). En voyant cette différence de régime qui trahit le caractère de pièce (laborieusement) montée de l’ensemble, on ne peut s’empêcher de repenser à quelques films ayant, eux, réussi l’alchimie entre le (sou)rire, l’émotion et un certain degré de violence physique. Dans ceux-là, la réussite tenait avant tout à l’habileté et surtout à la conviction de la mise en scène que la présence commune de ces composantes faisait un tout qui dépassait leur bête somme. Pas nécessairement du grand cinéma : si John McTiernan a un jour su conjuguer brillamment comédie policière de cambriole et romance incandescente entre quadragénaires (c’était son excellent remake de L’Affaire Thomas Crown), on peut aussi citer un exemple d’habileté du plus limité Doug Liman (Mr & Mrs Smith), voire le plus modeste (ce qui n’est pas la même chose) Richard Donner et ses Arme fatale. Leurs films hybrides se tenaient parce que leur regard de metteur en scène ne faisait pas de discrimination entre le comique, l’émouvant et le brutal : pour eux, ces matériaux qui racontaient la même histoire revenaient à un même cinéma à faire. Une largesse de vue dont on peut difficilement créditer le sympathique tâcheron Robert Luketic (La Revanche d’une blonde, Las Vegas 21), lequel exécute sa commande Kiss & Kill (le titre français s’avère pour une fois très inspiré, avec sa juxtaposition de verbes) en séparant bien les torchons des serviettes et en adoptant pour chaque type de linge — les deux se succédant en alternance sans jamais vraiment se mélanger — une posture différente et toujours molle et creuse : maniérismes à l’ampleur truquée d’un côté, effacement paresseux de l’autre.
« Neutralisation générale »
Faute d’une fermeté de mise en scène dans l’équilibre qu’il entend ménager pour le film, c’est le versant action qui y perd, au profit du versant comique qui bénéficie au maximum de l’abattage de ses deux stars plus motivées, semble-t-il, que le réalisateur. Alors oui, Heigl a la langue bien pendue, et Kutcher porte bien le flingue. Oui, ils se régalent et régalent le public en se renvoyant la balle de leurs dialogues ciselés, dans des scènes de drague malhabile ou de déballage de griefs conjugaux entre deux fusillades ou crissements de pneus. Mais cela ne nous mène tout de même pas très loin. Une fois que les époux ont vidé leurs sacs en un enchaînement d’engueulades évoquant des extraits mis bout à bout d’autres comédies conjugales médiocres (c’est-à-dire que même accumulées, elles n’en restent pas moins à des constats de lieux communs sur le couple), c’est l’obligatoire retour dans les bras l’un de l’autre, l’union pour arriver au bout du parcours (on repense à la fin de Mr & Mrs Smith, sacrifiée de manière similaire), avant une neutralisation générale de l’ensemble par un ultime coup de théâtre révélateur capillotracté. Cadavres et courses-poursuites n’auront été que des escapades dans le tout-venant le moins remuant de la comédie américaine.