« Si vous devez cligner des yeux, faites-le maintenant. » Posée en préambule du film, par la voix-off subtile de l’acteur Art Parkinson, connu pour son rôle de Rickon Starck dans la série Game of Thrones, la phrase d’accroche tient ses promesses tant Kubo et l’armure magique est un film d’une beauté sidérante. Tout du Japon fantasmagorique qui sert de cadre à l’action, avec déserts, forêts denses et mers démontées, est visuellement bluffant.
Après Coraline, L’Étrange Pouvoir de Norman, et Les Boxtrolls, le studio américain Laika, détenu par le co-fondateur de Nike Phil Knight et dirigé par son fils Travis (qui passe ici à la mise en scène), retrouve sa marque de fabrique, le stop-motion, avec la particularité pour ce film que plusieurs des marionnettes utilisées sont élaborées à partir d’origamis. L’insertion de cette technique de pliage dans le récit génère d’ailleurs la plus belle séquence du film. Devant un parterre de villageois fascinés, Kubo, jeune conteur de rue, donne vie à l’histoire qu’il raconte en mettant en mouvement grâce à la magie une série de papiers de couleur. Des formes se créent, se déconstruisent, dans une ronde féérique d’une poignée de minutes. La mise en abyme du processus d’animation en cours est à la fois claire, intelligente et ludique.
Récit initiatique
Kubo est donc le héros dont on suit les aventures. Garçon borgne, il s’occupe tant bien que mal de sa mère affaiblie. Contrevenant aux règles fixées par celle-ci, autrefois grande magicienne, il commet l’erreur de ne pas rentrer avant la tombée du soleil. Il attire ainsi l’attention de ses deux tantes et de son grand-père maternel, qui ne lui veulent pas que du bien puisqu’ils convoitent son second œil (après lui avoir déjà retiré le premier quand il était bébé). En fuite, désormais accompagné d’un singe malin dévoué à sa cause, puis bien vite d’un ancien samouraï au corps de scarabée (car frappé d’un sort jeté par le fameux grand-père), Kubo va devoir braver les pires dangers pour accomplir la quête qui se propose à lui : rassembler les trois parties d’une armure ancestrale seule capable de le protéger de ses poursuivants.
Cette construction narrative linéaire sous forme de récit initiatique n’est pas exempte de petits défauts. Si le film inclut une violence certaine, avec la présence de sang à l’écran, quelques moments familiaux tirent néanmoins vers le larmoyant. Les combats successifs contre les monstres à affronter ont pour leur part un côté répétitif. Mais l’essentiel est ailleurs. Ce qui se passe en termes de pure action est moins important que ce qui se joue au niveau psychologique voire psychanalytique. Kubo et l’armure magique est en effet d’abord et surtout un superbe éloge de la transmission : entre les parents et leurs enfants, entre les morts et les vivants, ou d’un artiste à ses spectateurs via l’histoire qu’il veut leur raconter.
Question de regard
Dans Kubo et l’armure magique, tout tourne autour de la question du regard. Le malfaisant grand-père veut priver la vue à Kubo dans le but de réduire à néant son empathie et au bout du compte supprimer tout lien entre le petit magicien surdoué et une humanité que le patriarche juge bien trop imparfaite. Si le simple fait de voir permet d’engranger des souvenirs (des visages, des lieux…), c’est se regarder dans les yeux d’un autre qui forge une identité. C’est la capacité de projection qui fait l’humain.
Superbe graphiquement, on l’a dit, émouvant, rythmé, dotée d’une jolie musique avec notamment la reprise fort à propos de la chanson de George Harrison, « While my guitar gently weeps », le nouveau film du studio Laika est une belle réussite qui se hisse à la hauteur des meilleurs Disney.
À noter pour finir l’intéressant générique de fin qui voit s’animer le storyboard crayonné et présente un court making-of qui montre quelques techniques d’animation employées pour le film. Là encore, jusqu’à la dernière seconde, il y a cette volonté de transmission, les sorciers de l’image dévoilant une partie de leurs tours.