Un film de fiction à partir d’une matière documentaire — l’apprentissage d’un jeune en quête de repères auprès d’un exploitant agricole, dans le Haut-Doubs ? Résumé ainsi, le premier long métrage de Samuel Collardey paraît porteur d’ambitions qui incitent à une certaine prudence. Inclusion du réel dans un dispositif de fiction, représentation du monde rural comme source d’ouverture à la vie, chronique d’un adolescent mal dans sa peau : une poignée de thèmes qui, dans la fiction française, font souvent un peu office de tarte à la crème source de rabâchage de lieux communs narratifs, beaucoup de chausse-trappes pour le jeune réalisateur. Fausse alerte : dès les premiers plans, Collardey fait signe qu’il n’éprouve aucun complexe de regard vis-à-vis de la matière de son film, ne s’admettant pour seule pression que la nécessité de restituer la vérité de cette matière, plutôt (et c’est la nuance) que d’en mettre en avant l’aspect réaliste et documentaire. D’où le choix de filmer en 35mm à la manière d’un pur film de fiction : s’il y a bien un dispositif discret, au moins dans la direction des « acteurs », celui-ci ne pèse jamais sur la forme. Le rapport transparent du réalisateur à l’environnement du film fait également la beauté du film. En quelques scènes, il sait instaurer la province franc-comtoise, ses paysages entre façades urbaines un rien mornes et campagne boueuse, et son accent à couper au couteau, en un référentiel évident et familier, désamorçant par avance toute mise à distance — là où d’autres n’en feraient, consciemment ou non, qu’un milieu teinté d’exotisme propre à dépayser le spectateur citadin.
Ouvrir un espace plutôt qu’une voie
Si Collardey, en tant que cinéaste, s’est bien posé la question d’une représentation sans posture de la réalité du monde rural, il n’impose pas cette question — ni la réponse qu’il lui donne — comme sujet central de son film, mais en fait plutôt un facteur naturel de sa chronique adolescente. Dans le traitement de celle-ci, il use aussi d’un doigté qui déjoue le caractère écrit du genre et les simplifications de lecture qui pourraient pointer. Les enjeux de l’évolution du jeune apprenti sont assez vite discernables (la quête d’un père, l’accomplissement dans un milieu jusqu’alors inconnu), mais Collardey les déploie en une multitude de scènes disjointes comme autant d’options ou de relances offertes au protagoniste (la bande de copains, les tâches agricoles, la petite amie, les sorties au bar, les discussions avec sa mère, etc). Le personnage a déjà une certaine expérience de la vie, qu’il lui appartient à tout moment d’enrichir voire de réviser. Dans un parcours non linéaire, on le voit se construire en repassant continuellement par les mêmes espaces, devant les mêmes visages, pour vivre peut-être des choses différentes. Mais les seules scènes où on le voit tout à fait seul et autonome, sans la pression du milieu, face à lui-même, sont des scènes rurales. Le vrai apport de son apprentissage, que le film laisse se révéler, est là : on y enseigne moins une voie à suivre qu’on ouvre un espace où l’apprenti a toute latitude pour chercher la sienne.
Même dans l’aspect métaphorique un brin forcé de ce plan, vers la fin, où le jeune garçon quitte le lieu de son apprentissage, rien n’indique qu’il ne continuera pas de louvoyer dans la vie à la recherche de son avenir : simplement qu’il s’apprête le faire avec une sérénité acquise de la sortie des ornières qu’a été son passage. Que le cinéaste Collardey explore aussi, ou non, les mêmes terrains de cinéma, il faut lui souhaiter de conserver l’acuité tranquille de son regard.