On retrouve dans cette Impasse tragique les figures topiques du film noir et le professionnalisme d’Hathaway, toujours maître d’un noir et blanc tranchant. Si les surprises narratives et visuelles sont assez rares, l’objet reste cependant relativement plaisant, notamment par la profusion des intrigues et les jeux de miroirs qu’il développe.
Henry Hathaway, jugé souvent trop dépendant des commandes de studios et des ficelles du western, s’est tout de même distingué par quelques films noirs intéressants, dont, bien entendu, Le Carrefour de la mort. On retrouve donc les accoutrements physiques du polar (gabardine, chapeau et rasades de whisky compris) mais aussi ses apparences populaires : car si le scénario se régale des jeux de miroirs entre les honnêtes gens et les pervertis, les amoureux candides et les couples intéressés, il joue aussi d’une opposition plus sociale qui tend à ancrer les justiciers dans la rue, aux cotés des travailleurs, loin des corporations financières et institutionnelles. Le héros n’est d’ailleurs pas seul sur scène, et sa quête n’est pas appuyée par de nombreux seconds rôles et intrigues secondaires inutiles, comme elle l’est parfois dans les films qui se reposent sur leur vedette. Tout fait sens, et tout s’emboîte (un brin facilement et magiquement d’ailleurs), sans porter atteinte à la place de chacun et de chaque plan dans la récit. La kyrielle de personnages, parfois difficile à suivre, finit par prendre son ampleur, notamment grâce au savoir-faire d’Hathaway à qui l’on peut reprocher beaucoup de choses si ce n’est un sens profond du contraste et de la nuance que sublime le noir et blanc d’ombres et de lumières.
Si l’argument n’est pas si limpide, il reste classique : Bradford Galt et sa secrétaire Kathleen sont suivis par un mystérieux homme vêtu de blanc. Le détective privé vient de sortir de prison, injustement accusé d’un crime commis par son ancien associé, Tony Jardine, lui-même amant de Mary Cathcart, mariée à un marchand d’art. Bradford croit donc devoir combattre une nouvelle fois Jardine, alors qu’un autre ennemi, inconnu et machiavélique, organise sa vengeance dans l’ombre. Film sur les faussaires (de l’amour et de l’art), L’Impasse tragique souffre néanmoins des références qu’il appelle et d’un casting un peu faiblard : centre des attentions du collectionneur Cathcart, un tableau qui ressemble à la femme aimée rappelle irrémédiablement Laura d’Otto Preminger qui, produit deux ans plus tôt, possède le même scénariste que L’Impasse tragique. Hathaway pâtit quelque peu de la comparaison, égratigné par deux faiblesses : le rapport entre les êtres, notamment entre les hommes et les femmes, sont loin d’être mystérieux ou fantasmagoriques. Le couple des gentils se forme dans l’évidence, et les couples moins lisses ne sont pas assez tortueux pour inspirer la terreur.
Il y a fort à parier que le film aurait pu tirer bénéfice d’un casting un brin plus fastueux. Les deux protagonistes n’ont pas tout à fait l’étoffe de leurs rôles : Mark Stevens ne semble pas tellement perturbé par l’injustice qu’il subit, et Lucille Ball manque sans doute de fantaisie et de légèreté. En revanche, la distinction flegmatique de Clifton Webb (Cathcart) ajoute une touche assez angoissante, emprunte parfois de la folie qu’Hathaway se plaît à dévoiler comme à masquer dans une confrontation permanente des clair-obscurs, à son personnage de criminel grand-bourgeois. Produit en 1946, L’Impasse tragique souffre certainement de contraintes de la commande, et de la volonté de coller au genre, sans pour autant laisser oublier le talent évident de celui-ci à mettre en scène les jeux de massacre et de faux-semblants.