Réalisateur de l’âge d’or hollywoodien moins reconnu que d’autres, Henry Hathaway s’est surtout distingué en dirigeant Marilyn Monroe dans le très sensuel Niagara. Pourtant, dès 1935, le réalisateur fut érigé en digne représentant au cinéma du mouvement surréaliste avec ce Peter Ibbetson d’une bouleversante inventivité. Un vrai poème d’amour fou que l’on peut enfin redécouvrir aujourd’hui grâce à une édition DVD de belle qualité.
D’Henry Hathaway, on a rarement vanté la délicatesse de la mise en scène, tout au plus une belle efficacité dans ses films d’aventures les plus connus comme Les Trois Lanciers du Bengale ou Prince Vaillant. De son abondante filmographie (39 films en 37 ans), on retient surtout Le Carrefour de la mort (1946) ou encore Niagara (1953), film d’une belle intensité sexuelle avec une Marilyn rarement à ce point sublimée comme objet de désir. Pourtant, dès son second long métrage, Henry Hathaway avait réussi un véritable tour de force : mettre en scène un film qui, en 1935, allait devenir l’un des plus beaux représentants du courant surréaliste.
Peter Ibbetson, c’est donc l’histoire d’un petit garçon qui doit subir coup sur coup la disparition prématurée de sa mère et la perte d’une compagne de jeux à qui il est arraché lorsqu’un vieil oncle décide de l’emmener vivre à Londres. De cette séparation traumatique, reste pour Peter Ibbetson un indépassable sentiment de vide et de manque que rien ne semble pouvoir combler. Ces premières scènes, Henry Hathaway les met admirablement en scène : en lents travellings arrières ou avants, en plans larges sur des intérieurs de bâtisses trop grands dans lesquels les enfants semblent se perdre ou disparaître, le réalisateur met progressivement en chantier un espace fantasmatique où les souvenirs se construisent, disparaissent ou échappent pour mieux revenir sous une autre forme. La déchirante scène de séparation entre les deux enfants met en exergue la médiocrité d’un monde insuffisamment grand pour accueillir l’exigence d’absolu de ces jeunes êtres pas encore happés par la résignation.
Les années ont passé et Peter Ibbetson traîne sa mélancolie. Architecte reconnu, il ne parvient pas à atteindre une certaine idée du bonheur, lui qui reste prostré dans son manque, amputé d’une partie de lui-même. Envoyé dans une grande demeure dans l’objectif d’y réaménager les écuries, il y retrouve cet amour d’enfance idéalisé qui a tenté de refaire sa vie avec le même sentiment de manque. Ensemble, ils vont tenter de venir à bout de cet inexorable sentiment de perte mais les événements vont à nouveau les séparer. Jeté en prison, Peter Ibbetson va alors apprendre à s’évader, à vivre mentalement ce après quoi il a toujours couru. La dernière partie du film bascule donc dans une certaine forme d’abstraction et devient l’éloge bouleversant d’une nouvelle forme de résistance à la dure réalité : l’imagination. Véritable poème d’amour fou, Peter Ibbetson ne tient donc que par cette volonté de croire en l’impossible, de réunir toutes les synergies pour s’affranchir des contraintes du réel. Et c’est sur ce fil ténu que le film avance, balayant d’un revers tout repère spatio-temporel pour livrer une véritable apologie du surréalisme et une belle ode au cinéma.