Qu’il était beau le temps où Elizabeth Taylor et Joan Fontaine se battaient pour les yeux bleus d’Ivanhoé, loyal chevalier au service du roi Richard Coeur de Lion! Qu’Hollywood était grand quand Lancelot/Robert Taylor tentait de ravir la reine Guenièvre/Ava Gardner à son roi Arthur! Au début des années 1950, Technicolor et CinémaScope aidant, le cinéma américain réalise ses plus grands films d’aventure, souvent signés Richard Thorpe (Ivanhoé et Les Chevaliers de la Table Ronde, mais également Le Prisonnier de Zenda et Les Aventures de Quentin Durward). Pour Prince Vaillant, adaptation d’une célèbre bande dessinée, c’est Henry Hathaway qui s’y colla. Le vieux briscard n’était pas étranger au genre: il en fit ses délices dans les années 1930, au moment où film d’aventures rimait souvent avec colonialisme et exotisme (Les Trois Lanciers du Bengale). Casting glamour à souhait, récit haut en couleurs, batailles et cascades en rafale: Prince Vaillant a tout pour plaire. Chevauchez donc avec lui vers Camelot.
Oyez, oyez! Écoutez l’aventure de Vaillant, que son père, le roi viking Akbar, envoya à la cour du roi Arthur pour apprendre le dur métier de chevalier de la table ronde! Apprenez comment il devint l’écuyer du valeureux Sir Gawain, conquit le coeur de la belle princesse Aleta et renversa l’usurpateur viking pour rendre son trône à son père… Prince Vaillant, ce n’est pas Robert Taylor (sans doute fatigué de jouer à tour de bras les chevaliers sans peur et sans reproche), mais un autre Robert, Wagner cette fois-ci, qui endosse à la perfection le « type » du héros fabuleux que les épopées de Chrétien de Troyes puis, beaucoup plus tard, celles d’Hollywood, avaient inventé, tel le légendaire roi Arthur bâtissant un royaume à la seule force d’une épée que lui seul put tirer de son roc…
Modèle du parcours initiatique qui parcourt le film d’aventures (tout comme le roman, voir pour cela Les Trois Mousquetaires de Dumas), Prince Vaillant raconte l’histoire d’un jeune homme plein de courage, qui va petit à petit apprendre à en faire usage en respectant des codes d’honneur qui lui sont étrangers. Instinctif, immature, Vaillant réagit selon son cœur, autre trait du héros qui se doit aussi de transgresser les règles (participer à un tournoi alors qu’il n’est pas chevalier et n’en a donc pas le droit, s’enfuir alors qu’il est censé se constituer prisonnier). Cette transgression ne se fait pas sans mal : pour entrer dans la légende, Vaillant doit accepter les premières humiliations constituant son apprentissage, et Hathaway filme avec générosité cette transformation de son héros, d’abord jeune adolescent bondissant d’un rocher à un autre, puis chevalier dont la prestance n’a d’égale que celle de son pire ennemi, Sir Brack, qu’il affrontera lors d’un ultime duel fougueux dont seul Hollywood avait le secret…
Générosité, mais aussi humour : Prince Vaillant se démarque justement d’Ivanhoé et autres Chevaliers… en reprenant à son compte un balancement entre aventure et comédie qui était déjà le propre du merveilleux Robin des Bois de Curtiz. Non seulement le héros est faillible, mais ses adjuvants le sont aussi, à l’image de Sir Gawain : dans une scène irrésistible, le preux chevalier d’Arthur joue l’amoureux transi de la princesse Aleta, bien-aimée de Vaillant, qui, pris entre le marteau et l’enclume, ne sait plus comment se sortir d’affaire… L’importance donnée aux personnages secondaires est alors cruciale, et Prince Vaillant en est fourni, du fordien Victor McLaglen en Viking de choc à Brian Aherne en roi Arthur, en passant par la très jolie Debra Paget, petite princesse amoureuse de conte de fées, qui s’était à l’époque spécialisée dans les Indiennes de toutes les sortes (La Flèche brisée, La Dernière Chasse et Le Tigre du Bengale). Le couple principal illumine l’écran du glamour requis : Robert Wagner et sa chevelure noir jais contraste superbement avec les longs cheveux d’or de l’intrépide Janet Leigh, aussi belle en dame de la cour qu’elle le sera en soutien-gorge chez Hitchcock. Quant à James Mason, il interprète avec séduction le traître, qui, tel le prince Jean de Robin des Bois, tentera d’usurper le trône…
Dans le film d’aventures moyenâgeux et arthurien, les repères historiques ne sont pas légion ; il est notable de remarquer à quel point les valeurs, par contre, sont typiquement hollywoodiennes : dans la lutte contre les vikings païens et les convertis au christianisme, seuls ces derniers sont récompensés de la victoire finale ; pour porter bonheur, on offre des croix ; pour se lancer au combat, on s’en réfère au Christ (dans Ivanhoé, la juive Rebecca ne pourra pas enlever le cœur du héros, donné à la catholique Rowena). Morale toujours dans l’accès au trône : les rois légitimes contre les bâtards (la filiation du sang pur, il n’y a que ça de vrai) se traduit souvent en lutte du Bien contre le Mal. Seule échappée belle « amorale » mais foncièrement cinématographique : l’amour, lui, triomphe de l’honneur et de la justice. On ne sépare pas une dame de son chevalier, même si elle est promise par droit de prince à un autre…
Qu’importe, moral ou amoral, le style Hathaway convient parfaitement au film d’aventures : les grands espaces anglais sont magnifiés par des plans d’ensemble prédominants, mettant en valeur à la fois le merveilleux des décors (Camelot, plus tard moqué dans le Sacré Graal des Monty Python comme n’étant qu’une « maquette ») et la fougue des cavalcades à travers les forêts. La musique symphonique de Franz Waxman (d’origine allemande, il composa la musique de 173 films) appuie le caractère valeureux des hauts faits de la chevalerie arthurienne, à commencer par le traditionnel tournoi, qu’Hathaway filme comme un match de boxe, n’hésitant pas à montrer la fatigue des concurrents et la terrible violence des chocs. Le duel final est un véritable morceau de bravoure comme on les aime, où les coups d’épée contre les boucliers rythment la vertigineuse danse mortelle à laquelle se livre les combattants. Seule la dernière scène, un peu expéditive, déçoit. Une fois n’est pas coutume: on aurait aimé que le film soit plus long. À voir sur grand écran, pour la magie éternelle du CinemaScope.