Les enfants sont-ils capables de mensonges ? Telle fut la question au cœur de l’affaire de pédophilie d’Outreau, question qui sert de point de départ au nouveau film de Thomas Vinterberg. Après avoir étrillé la famille et son apparente cohésion dans Festen, le réalisateur danois retrouve son terrain de prédilection, la désagrégation d’une communauté et la violence qui en sourd. Dans La Chasse, il travaille le motif de la chasse aux sorcières mais la femme pourchassée durant des siècles a cédé sa place à l’homme, source de toutes les suspicions depuis l’avènement de l’enfant-roi. Du mensonge à la calomnie, de l’amitié à l’ostracisme, Vinterberg ausculte les soubresauts moraux d’un village face à l’un des leurs, accusé d’attouchements sur une fillette. Que vaut la vérité face à la rumeur ? Vaste débat.
Lucas (Mads Mikkelsen), abattu par son divorce, tente de se reconstruire auprès de sa bande de copains chasseurs et bons buveurs. Puériculteur dans la crèche de la ville, il tisse une relation très forte avec Klara (Annika Wedderkopp), la fille d’un de ses amis, perturbée par les nombreuses disputes de ses parents. Mais Klara idéalise Lucas et lorsqu’il la repousse, sentant qu’elle transfère sur lui l’amour parental qui lui manque, la fillette évoque des attouchements fantaisistes auprès des adultes qui l’entourent. Se répandant comme une traînée de poudre, l’accusation met Lucas au ban de la communauté, l’isolement qu’il subit se transformant vite en véritable chasse à l’homme.
La pédophilie, tabou absolu du monde contemporain, conduit inévitablement à la sacralisation de la parole de l’enfant. Plus de présomption d’innocence, encore moins d’objectivité quand les dires d’une petite victime accusent. Thomas Vinterberg prend ainsi à bras le corps cette problématique dans La Chasse, inversant le dispositif de son premier film. Alors que Festen déconstruisait la mécanique du silence face à l’inceste (honte, pression familiale faisant taire le crime), son nouveau métrage tente d’établir la cartographie évolutive d’une rumeur, d’un bruit qui court et se répand comme une épidémie. Le mutisme face au crime incestueux, qui permettait de conserver une façade harmonieuse, devient ici un hallali grégaire, explosant les liens amicaux. Une fois le mal injecté (les accusations de Klara), rien ne peut le contenir. Ni le revirement de la petite fille (interprété par les adultes comme un sentiment de honte), ni les dénégations de Lucas, abasourdi et incapable d’imaginer la déflagration que ces allégations vont produire sur son existence. Dès lors, on assiste au naufrage social d’un homme pourtant parfaitement intégré, et on découvre, stupéfait, la défiance idiote de ses concitoyens. Toujours prompt à l’excès, Vinterberg excelle dans le portrait de Lucas, trop confiant dans le jugement pondéré et circonstancié de ses pairs, mais exaspère lorsqu’il dépeint cette communauté. Sourds aux évidences, trop contents d’avoir débusqué le mal pour en douter (à l’image des chasses aux sorcières ancestrales), les habitants du village sont une caricature vivante. Impossible de ne pas être atterré en regard de leurs réactions, d’abord verbales, puis physiques. Cette volonté de Vinterberg de « charger » ces personnages dessert son film en le lestant d’un irréalisme pesant. Le suivisme, l’absence de réflexion sont au cœur de la propagation des rumeurs, mais l’acharnement du metteur en scène à ne montrer que la vilenie humaine face à la dignité sans faille de son héros piège le film dans un manichéisme facile.
Selon Vinterberg, il semblerait que lorsque la rumeur est plus forte que l’histoire, on imprime la rumeur. Vis-à-vis de ce constat navrant mais vérifié, on aurait aimé un traitement plus nuancé ou du moins évitant les traits grossiers. Cette Chasse, effrayante en soi, perd malgré tout de sa pertinence, au fur et à mesure de la mise à mort de son personnage. Dommage quand on connaît la capacité du Danois à embrasser les sujets les plus sulfureux.