On ne sait plus bien ce que l’on attendait encore du réalisateur de Festen et de La Chasse, qui, après un Loin de la foule déchaînée honnête mais d’un grand classicisme, aurait pu revenir à son travail sur le rapport entre groupe et individu dans ce récit d’une communauté danoise des années 1970. Mais il semble que le réalisateur ait définitivement abandonné la radicalité de ses débuts pour une ouverture peu ambitieuse (et surtout ratée) vers des genres plus grand public: entre comédie de boulevard et mélodrame, La Communauté s’avère bien trop écartelé et superficiel pour réellement réussir dans chacun de ces registres.
Les signes du groupe
Un couple stable, Anna et Erik, mariés, la quarantaine, une fille de 15 ans, s’essaye, pour profiter d’un héritage immobilier trop coûteux, à la vie communautaire. L’ouverture du foyer à des colocataires plus ou moins caractériels est l’occasion de bousculer les règles établies et de vivre plus intensément selon un nouveau modèle en construction. Or lui, Erik, tombe rapidement sous le charme d’une étudiante qui bouleverse par ricochet l’équilibre collectif. Malgré un sujet au potentiel narratif riche, Thomas Vinterberg réduit un peu trop rapidement la communauté à un mécanisme de recrutement (constituer le groupe) et à un système de vote (décider ensemble) et s’enferme dans la construction d’une galerie de personnages farcesques (on pense aux comédies britanniques de Richard Curtis dans une version danoise seventies, pull en laine vert et moquette taupe). Dès lors, la communauté que constitue le film n’est jamais réellement filmée comme le lieu d’une utopie politique, même si elle est présentée comme le sujet principal du film : dans une scène inaugurale d’une subversion assez décorative, les néo-amis communient joyeusement dans la nudité d’un grand bain maritime – avant de rentrer partager une bonne bouteille à la maison. Maigre caricature d’un projet social qui ne sera jamais le sujet du film : à l’image de ce plan au ralenti des personnages marchant tous ensemble vers on ne sait où, La Communauté n’est qu’un agrégat maladroit de situations juxtaposées artificiellement et d’enjeux mal agencés.
Un film sous influence
L’échec du projet se retrouve dans la réalisation d’ensemble du film, d’une grande banalité, clairement destinée à mener le sujet «social» à un large public (accompagnement musical appuyé, dialogues soulignés, couleurs sous naphtaline). Mais Vinterberg manque surtout, au-delà de sa mécanique cinématographique un peu poussive, à trouver le bon point de vue à son récit, entre l’histoire d’un couple en roue libre, le portrait d’une femme quittée et celui d’une jeune fille en construction identitaire. C’est d’autant plus dommage que l’ensemble aurait pu évoquer, par certains aspects, les meilleures heures de Bergman d’une part, et de Cassavetes d’une autre, sans le désespoir de l’un ni la folie de l’autre. Il pourrait y avoir du Fanny et Alexandre dans cette bande d’hurluberlus vivant sous le même toit sous l’œil des enfants : mais le point de vue n’est pas vraiment celui de la jeune Freja, et ce malgré de courtes scènes sur ses choix amoureux risqués face l’influence destructrice de ses parents. Plus loin, la perte de contrôle d’Anna face au désastre dans lequel la mène son utopie, lointain rappel de la dépression d’Une femme sous influence, aurait mérité un travail un peu plus avancé autour des rapports de pouvoir au sein d’un couple vieillissant ou de la tragédie d’une femme remplacée par une plus jeune. Dès lors, écartelé entre ses genres et entre ses sujets, La Communauté manque d’une réelle densité cinématographique pour tenir le tout de manière convaincante.