Dans une petite ville minière américaine, des adolescents solitaires fondent un groupe. Leur nom : les Dandys. Leur credo : le pacifisme armé. Cosigné par Vinterberg et Von Trier, Dear Wendy nous fait hésiter entre enthousiasme et consternation totale.
Ce qui est embêtant, avec les films réalisés par une forte personnalité sur un scénario d’une autre forte personnalité, c’est qu’on ne sait jamais vraiment quelle est la part de l’une et de l’autre. Pour Dear Wendy, Thomas Vinterberg est aux manettes de la réalisation mais l’histoire sort de l’imagination fertile, et pas toujours facile à suivre, de Lars Von Trier. D’où l’aspect « film à thèse » qui ressort du quatrième long métrage de l’auteur de Festen (1998). Car Lars Von Trier fait un cinéma éminemment politique. Si Breaking the Waves (1996) relevait de la sphère privée (jusqu’à quels sacrifices et quels renoncements de soi peut-on aller par amour et contre son milieu?), Les Idiots (1998) s’attachait à décrire la vie en communauté, s’interrogeant sur l’engagement d’un groupe pour des règles qu’ils ont eux-mêmes fixées et qui se révèlent être l’opposé de celles imposées par la société.
L’histoire de Dear Wendy s’attache là encore à décrire un groupe d’individus : de jeunes adolescents vivant dans la petite ville minière américaine d’Estherslope. Lorsque le pacifiste Dick, le héros (Jamie Bell, l’acteur de Billy Elliot, une des raisons d’espérer du film), découvre un petit revolver qui l’attire mystérieusement, il décide de rassembler autour de lui tous les sans-voix d’Estherslope. Fascinés par les armes à feu, les « Dandys », se retrouvent dans une mine désaffectée aménagée en sanctuaire de leurs rituels. Ils y étudient la balistique et décortiquent les conférences d’un médecin légiste en buvant un vieux porto amer. Les armes deviennent autant d’objets structurant la personnalité de chacun, baptisées (Wendy, Femme, Lee, Grant…) lors de cérémonies chargées de symboles. Les Dandys s’accordent sur une règle d’or : ne jamais dégainer son arme. Très vite, ils vont être amenés à transgresser cette règle, quand surgit le personnage de Sebastian.
Malheureusement, le styliste qu’est Lars Von Trier ne se dissout pas dans le réalisme de Vinterberg, et le film reste au stade d’une démonstration parfois maladroite et souvent agaçante. Hydre à deux têtes, Dear Wendy nous fait ainsi valser entre enthousiasme naïf et exaspération totale. Alors que Festen possédait une force puissamment dérangeante, servi par une justesse de ton, et l’absurdité d’un réel brut, servi sans apprêt, Dear Wendy s’essouffle au moment le plus décisif de l’histoire, totalement invraisemblable et à la limite du ridicule : alors que les Dandys escortent la grand-mère de Sebastian, paralysée à l’idée d’être attaquée par des voyous, celle-ci sort brutalement un fusil pour abattre l’agent de police qui s’était précipité pour ramasser son sac ! Si on avait pu s’enthousiasmer de l’ambiance presque beat generation servie par la musique jubilatoire des Zombies (un sans-faute pour la bande originale) de la première moitié du film, du décor de western utilisé à contre-emploi et de la description de personnages originaux et attachants, on en vient petit à petit à se poser franchement la question : « halluciné-je ?» Un peu gênant quand on sait de quoi les deux Danois, fondateurs du Dogme 95, peuvent être capables. Dear Wendy n’a ainsi rien à voir avec la finesse du Gus Van Sant d’Elephant (la fascination des armes à feu y était montrée dans une horreur d’autant plus palpable qu’elle s’appuyait sur une histoire vraie, le côté marginal des ados y avait les accents de sincérité qui manquent ici) et tout à voir avec un cinéma qui se veut expérimental juste pour… expérimenter, laissant une coquille vide derrière lui. Gâché par des passages grotesques et un attirail psychologique de bas étage, le film achève de nous retirer toute envie d’indulgence quand vient la trop longue scène finale. On reste incrédule devant cette tuerie interminable avec force détails et ralentis sur les corps juvéniles criblés de balles, encore plus sur la fin, attendue et à la limite du kitsch. Bref, on finit par ressortir du film presque en colère, comme envers un vieil ami qui nous aurait déçus, et on souhaite aux deux cinéastes de retrouver l’inspiration nécessaire pour dépasser le stade du « je me fais plaisir ».