Faute de trouver de nouvelles sources d’inspiration dans son époque, le cinéma d’horreur américain actuel se tourne de plus en plus vers le remake d’œuvres plus ou moins marquantes des années 1970 – 80, qui furent dans ce genre assez inventives, voire parfois fondatrices. À côté du nivellement par le bas dont sont victimes bon nombre de ces productions (les visées de pure exploitation dénuée de toute conscience par Michael Bay et consorts), un des artisans emblématiques de ces années chéries, Wes Craven, a pris une louable initiative. Désireux de voir reformuler avec une vigueur nouvelle les deux marquants premiers films qu’il avait tournés avec des budgets dérisoires (La Dernière Maison sur la gauche et La colline a des yeux), mais sans pour autant reprendre la caméra pour l’occasion, il a su garder la main sur la mise en œuvre de ces remakes et faire des choix de producteur avisés en termes de scénario et de réalisateur.
Étrangement, ses choix pour effectuer cette tâche ont pour l’heure privilégié des cinéastes européens. Après le Français Alexandre Aja pour revisiter La colline a des yeux, après l’Allemand Martin Weisz pour donner une (dispensable) suite à ce remake, voici qu’il embauche pour retaper sa Dernière Maison sur la gauche le Grec Dennis Iliadis. Ce dernier s’est auparavant signalé dans la pub ainsi que par son premier long métrage Hardcore, une comédie dramatique prenant pour cadre la prostitution athénienne — comme quoi les voies du CV de réalisateur peuvent se révéler impénétrables… Les choix d’Aja et d’Iliadis s’avèrent judicieux et payants pour cette entreprise de réfection. Tous deux se montrent des faiseurs doués, respectueux des œuvres d’origine, surtout capables de mettre en scène la violence sans autres complexes de forme ou de discours que l’impact qu’a eu sur eux le cinéma de genre et qu’ils tâchent de restituer — Iliadis avec même encore moins d’inclinaison qu’Aja à la démonstration de premier de la classe. Soit des artisans idéaux pour le projet de reformulation de films « cultes » mais quasi amateurs dont Craven producteur souhaite parfaire l’efficacité, en y mettant les moyens techniques et financiers dont il ne disposait pas à ses débuts.
Inspiré de la glaçante Source d’Ingmar Bergman, La Dernière Maison sur la gauche, en 1977 comme en 2009, reste un spécimen des plus troublants de ce sous-genre de l’horreur d’exploitation qu’est le rape-and-revenge. Deux jeunes filles dans le vent tombent entre les griffes d’un quatuor de meurtriers en fuite formant un simulacre dégénéré de cercle familial, qui leur font subir les pires sévices avant de les laisser pour mortes. Mais les tortionnaires ont la mauvaise idée de trouver refuge chez un couple de sympathiques bourgeois propres sur eux, qui ne sont autres que les parents d’une de leurs victimes. Les hôtes ne tardent pas à découvrir l’horrible crime, et décident, contre toute attente du spectateur, d’en tirer vengeance avec une sauvagerie sans limites. À l’amateurisme technique et artistique du film de Craven, à des personnages sommairement dessinés, répondent ici la redoutable efficacité d’un cadre et d’un découpage économes en effets, un réalisme accru et des caractérisations plus fines portées par des interprétations tout en nuance (ainsi, Tony Goldwyn impressionne en papa toubib gentil mais moins lisible que son prédécesseur de 1977, rendant moins invraisemblable son basculement dans la violence meurtrière). S’appuyant sur la symétrie entre les actes de cruauté des malfaiteurs et ceux perpétrés par des gens a priori honnêtes, le remake justifie son existence en dilatant cette seconde partie par rapport au film d’origine, travaillant sur la violence par les objets domestiques et renforçant le malaise provoqué par la vengeance aveugle, qui se parachève dans une dernière scène à l’humour d’un noir d’encre.
Des élèves doués
La réussite du remake tient pour beaucoup à la mise en scène certes sans génie, mais franche et sans concession d’Iliadis : pas seulement parce qu’elle délivre efficacement le spectacle cathartique et troublant attendu, mais aussi parce que son absence de fioritures fait office de soupape de sûreté pour un scénario encombré de scories à force de chercher à s’étayer et à se démarquer de l’écriture sommaire du script original de Craven. C’est un peu le revers de la médaille de ces remakes des années 2000 (le film d’Aja n’en était pas exempt non plus), soumis à l’impératif de combler les trous de mite des films originaux, avec les soucis de bonne facture qui tendent à plomber le cinéma américain actuel par les tics de fabrication familiers qu’on y retrouve. Ainsi, dans l’élan général de réalisme appelé à rendre la peur plus palpable, le scénario du film d’Iliadis ne sait pas se passer d’une trop grande envie de tout expliquer, de tout rationaliser, laissant peu de place au mystère ou au travail d’appropriation du film par le spectateur. D’où un lest de ressorts psychologiques pas vraiment indispensables, comme la mention du fils mort du couple bourgeois, deuil censé contribuer à expliquer leur basculement à venir dans la vengeance sauvage ; ou encore la relation conflictuelle entre le chef de bande et son fils le benjamin du groupe, lequel a été rendu plus sympathique que celui du film original pour faciliter l’accès du public à cette « famille » de bourreaux appelés à être à leur tour des victimes.
C’est dans ces moments de lourdeur explicative qu’on se prend à reconsidérer l’écart entre les deux coups d’essai fauchés de Craven et leurs réincarnations plus favorisées — voire entre une certaine approche du cinéma d’horreur dans les années 1970 et celle d’aujourd’hui. Certes, les originaux La Dernière Maison sur la gauche et La colline a des yeux fleurent bon l’amateurisme, produits avec les moyens du bord et des équipes pour la plupart sans grande formation ni expérience, se fendant même d’un mélange de genres avec des moments de comédie pas très convaincants. Mais ils compensent ces défauts de jeunesse par une absence totale d’entraves dans le discours passablement dérangeant et par des initiatives expérimentales intéressantes dans le reflet qu’ils donnent de leur contexte social et politique tourmenté. La Dernière Maison sur la gauche, notamment, détonne par son usage du style cinéma-vérité directement inspiré des traumatisantes images d’actualité de la guerre du Viêt-Nam, tout comme par celui d’une douce musique folk créant le malaise par son contraste avec la cruauté des images (d’autant plus que le compositeur, David Hess, incarne aussi à l’écran le chef de bande violeur et assassin). L’aspect primitif même de la forme et de l’interprétation a pour effet inattendu de rendre plus choquante encore la brutalité des relations entre les personnages (notamment entre les fugitifs père et fils), mais aussi le passage de la cruauté des criminels à celle des bourgeois, lézardant sauvagement la façade trop lisse et trop bonhomme de l’American way of life et forçant à l’interrogation sur la réalité de la paix sociale. Un discours et une recherche qui, même sommairement traduits sur le plan artistique, rapprochent modestement les débuts de Craven des travaux de contemporains nommés Romero, Hooper voire — de plus loin — Carpenter.
Les films d’Aja et d’Iliadis n’héritent pas vraiment de cette liberté de ton et de cette envie de recherche. Travaux de bons, voire très bons élèves certes passionnés, mais plus soucieux de combler les lacunes du passé avec la technique d’aujourd’hui que de poursuivre un travail de libre création, ces remakes se contentent d’être des produits remarquables dans le genre — surtout au regard du médiocre niveau de la production actuelle aux États-Unis — mais seulement voués à la consommation sur le moyen terme. Les fleurons du film d’horreur américain d’il y a trente ans, moins soucieux d’à-côtés pas vraiment artistiques comme le soin de la facture, le sacro-saint réalisme, etc., n’avaient pas peur d’affronter leurs peurs, et en venaient à produire des images fortes évocatrices à la fois des cauchemars de leur temps et du nôtre, propres à laisser leur trace sanglante dans l’histoire du cinéma. Le genre aujourd’hui, plus soumis à l’encadrement des standards hollywoodiens mais aussi à la déférence envers les glorieux aînés, joue la sécurité, et se satisfait dans son ensemble du dépoussiérage soigné de son héritage en espérant atteindre la même efficacité et le même statut « culte », à défaut d’être animé des mêmes nécessités.