Pour fêter leurs noces d’argent, les Carter partent en famille pour la Californie, en passant par le désert. Très mauvaise idée, hélas, car les collines sont peuplées de mutants victimes de la radioactivité, assoiffés de sang et de violence. Reprenant le postulat de départ du film de Wes Craven, réalisé en 1977, La colline a des yeux de Alexandre Aja est − pour une fois − un remake tout à fait justifié, à la fois plus ambitieux et plus abouti que l’original. La maîtrise de l’espace dont fait preuve le réalisateur, le travail sur le son et la caractérisation des personnages en font un vrai bon film d’horreur alliant réflexion politique et peur à l’état brut, comme pendant l’âge d’or des Seventies.
Depuis quelque temps, aux États-Unis, la tendance est au remake, un bon moyen de se faciliter la campagne marketing : au lieu d’essayer de percer avec un nouveau film, un titre connu attire d’emblée l’attention des spectateurs. On se souviendra de Massacre à la tronçonneuse de Marcus Nispel, de L’Armée des morts de Zack Snyder ou, plus récemment, de La Malédiction de John Moore. Au-delà des bénéfices financiers, la question de l’utilité cinématographique d’un remake est nettement moins souvent évoquée. Contrairement à d’autres, Alexandre Aja s’est posé la question et y répond brillamment. Son film La colline a des yeux s’impose d’ores et déjà comme un digne successeur de l’original et serait même, avouons-le, plus réussi. Wes Craven ne nous en tiendra pas rigueur, puisqu’en tant que producteur de ce remake, la paternité lui en incombe également. Freiné, en 1977, par un manque de moyens, il prend ici sa revanche sur ce goût d’inachevé, grâce à l’enrichissement considérable du sujet et des personnages qu’opère Aja.
Afin de justifier le remake, Craven a quand même demandé à Aja et Grégory Levasseur, son co-scénariste, de trouver une nouvelle approche. La trouvaille a consisté en l’ajout d’un arrière-plan nucléaire, qui expliquerait les anomalies physiques et mentales des habitants des collines ayant refusé de quitter leurs terres alors que des tests nucléaires étaient réalisés par le gouvernement américain. Les États-Unis ont créé des monstres, qui s’en prennent désormais aux bons citoyens venus s’échouer dans cet endroit hostile. Le cauchemar peut commencer. Nourri de références, désireux d’atteindre le niveau de ses illustres prédécesseurs, Délivrance (John Boorman, 1972) et Les Chiens de paille (Sam Peckinpah, 1971) en tête, le film de Aja n’en possède pas moins sa singularité, toute la difficulté consistant à créer la peur dans de grands espaces inondés de soleil. Lors de ces plans panoramiques qui captent l’immensité de l’espace, la tension est palpable, n’importe quoi pourrait surgir. Le rythme d’ensemble du film est également très réussi, puisqu’une longue exposition présente les caractères des personnages et les rapports qu’ils entretiennent, puis survient l’accident, l’immobilisation en plein désert, à partir de laquelle la tension et la violence iront crescendo.
Les amateurs de gore, d’hémoglobine et de poursuites sanglantes ne seront pas déçus. Là aussi, Aja dépasse les limites de l’original, en apportant à la fois plus de chair aux meurtres repris de l’original, et surtout en ajoutant toute la dernière partie dans le village test, où le petit démocrate refusant de toucher une arme à feu sort littéralement de ses gonds et se voit contraint d’atteindre le même niveau de sauvagerie que les mutants pour sauver son bébé de leurs griffes. Contrairement au récent Isolation, bon film d’horreur mais ayant une fâcheuse tendance à souffrir d’épilepsie devant les scènes d’horreur, le film de Aja est un vrai régal pour les yeux. Last but not least, Aja renoue intelligemment avec la veine des série B d’horreur des Seventies, en insérant par-ci par-là de petites touches de réflexion politique et sociale. Le chef de famille, Big Bob, qui mourra brûlé vif, est un fervent républicain. Il n’y a qu’à voir comment son fils de 16 ans manie un revolver pour s’en convaincre. Quant à la scène où Doug le démocrate arrive dans le village test à la recherche de sa fille, le drapeau américain planté dans la tête de son beau-père et l’hymne national entonné par l’un des mutants touchent à l’irrésistible.
La question est maintenant de savoir dans quelle direction va aller Aja. Les sirènes hollywoodiennes auront-elles raison de son talent ? Deviendra-t-il un rare exemple d’auteur-réalisateur français œuvrant aux États-Unis ? Reviendra-t-il en France pour réaliser d’autres films de la trempe de Haute tension ? Pour le moment, apprécions à sa juste valeur ce très bon film d’horreur qu’est La colline a des yeux.