La Fille à la valise a été présenté à Cannes en 1961, tandis qu’un an plus tôt sortait À bout de souffle, de Jean-Luc Godard. Le jeu spontané des acteurs principaux, la mise en scène gracieuse et souvent aérienne, semblent être liés par une parenté secrète aux films de la Nouvelle Vague.
Aida, une jeune danseuse de province, se laisse séduire par les belles promesses de Marcello, un Don Juan aisé qui l’abandonne bien trop vite. Il confie à son frère Lorenzo la mission de la décourager à le revoir… Le scénario se prêtait volontiers au mélodrame mais les larmes demeurent fugitives ou cachées. Zurlini refuse les émotions trop ostensibles pour faire primer la grâce de ses deux jeunes premiers, Claudia Cardinale et Jacques Perrin.
Claudia Cardinale n’a pas encore la sophistication de l’héroïne du Guépard. Même si son personnage à la dérive entraîne cœurs et hommes dans son sillage, elle ne joue pas les femmes fatales, mais transcrit la féminité avec une simplicité évidente. Sa facilité à passer du rire aux larmes en un clin d’œil, sa vivacité évoquent parfois Anna Karina ou encore Jean Seberg. Souvent imprévisible, elle semble échapper à l’objectif et disparaît parfois hors champ. Zurlini la filme décoiffée, faisant la vaisselle, mais aussi dansant en robe du soir, multipliant ses visages et ses contradictions, belle et insaisissable.
« Valerio fut pour moi un père spirituel et un ami, sa personnalité rayonnante, sa culture prodigieuse étaient, pour le jeune homme autodidacte que j’étais, d’une séduction absolue (…) Par lui j’ai appris que c’était de l’intérieur que l’on “habillait” un personnage, et j’ai compris que même les sentiments, l’âme cachée derrière un regard, pouvaient être traduits dans une écriture cinématographique. » Cette confidence n’est pas un vain mot. Lorenzo/Jacques Perrin a la beauté juvénile et l’introversion d’un Jean-Pierre Léaud dans Les Quatre Cents Coups; même lorsqu’Aida est absente du cadre, elle existe dans ses yeux brûlants. Rarement regard aura été aussi expressif.
Cette intériorité est renforcée par une utilisation virtuose du noir et blanc. Le cinéaste présente souvent ses personnages en contre-jour laissant une partie de leur visage dans l’ombre et préservant leur mystère. Cette utilisation du clair-obscur a une portée symbolique. L’ombre est le lieu des émois cachés et Zurlini sonde les émotions de ses héros. Comme Godard il filme les nuques, lieux de la vulnérabilité, les yeux, les mimiques, autant de partie du corps qui permettront peut-être de reconstituer le puzzle des sentiments. Dans une très belle scène où le héros téléphone à Aida, seules les pupilles de Lorenzo demeurent visibles : difficile de déterminer ce qu’il pense réellement à cet instant. Nous ne le saurons pas. Aucune certitude chez Zurlini. Des êtres vivants, tout simplement.
Zurlini semble privilégier une caméra subjective, reflet des battements de cœur de Lorenzo. Le regard du metteur en scène se fond alors avec celui de son personnage. L’émerveillement du personnage devant l’héroïne et celui du metteur en scène devant l’actrice ne font plus qu’un.
La bande-son fait la part belle au silence, qui souvent l’emporte sur les scènes dialoguées. Parfois le décalage volontaire entre la bande-son et les actions à l’écran provoquent des ruptures et des instants de rêverie. Travail sonore dont les parentés avec la Nouvelle Vague sont saisissantes. Les passages jazzy rythment le film, relaient les mots, et expriment les états d’âme, suggérant une véritable mélancolie, cachée sûrement dans la valise.