Tom Hanks et Julia Roberts. Il y a dix ans, leurs deux noms associés sur la même affiche auraient signifié deux choses : comédie romantique et recettes astronomiques au box-office. Mais les temps ont changé, les deux acteurs ont vieilli et se sont forgé une respectabilité faite de prestigieuses amitiés (Spielberg, Clooney), d’oscars à foison et de conscience politique (démocrate). Quoi de plus logique, en ces temps de films engagés à Hollywood, de les retrouver au générique d’une production revenant sur les relations entre les États-Unis et le Moyen-Orient ? Avec Mike Nichols aux commandes et Aaron Sorkin au scénario, le résultat est, hélas, d’un intérêt très limité.
Charlie Wilson (Tom Hanks, visiblement content d’être là, voire un peu trop) n’est pas un député comme les autres. Dans l’Amérique des années 1980 régulée par l’administration Reagan, ce délégué du Deuxième District du Texas est plus connu pour ses conquêtes féminines, ses soirées arrosées et sa consommation effrénée de cocaïne que pour ses talents d’homme politique. Pourtant, ce démocrate est loin d’être ignorant, particulièrement dans le domaine de la politique internationale : Joanne Herring (Julia Roberts, très bien mais un peu sous-employée), richissime héritière texane ultra-conservatrice et anticommuniste le sait, et va s’en servir. Obsédée par l’idée de débarrasser l’Afghanistan d’une invasion soviétique aux répercussions humanitaires catastrophiques, elle va convaincre Wilson de s’embarquer dans le financement secret d’armes destinées aux Moudjahidin, avec l’aide d’un agent de la CIA au carnet d’adresses précieux, Gust Avrakotos (Philip Seymour Hoffman).
L’histoire prêterait volontiers à rire si elle n’était entièrement vraie : Charlie Wilson existe bel et bien, et les faits relatés dans le nouveau film du très éclectique (plus souvent pour le pire que pour le meilleur) Mike Nichols (Le Lauréat, Working Girl, Closer) ont bel et bien eu lieu, comme nous l’annonce fièrement un carton au début du film, histoire de mieux faire passer la pilule d’un pamphlet volontiers ironique qui souhaite clairement se démarquer de toute la série des films américains post-11-Septembre qui inondent les écrans depuis quelques années, de Lions et agneaux à Détention secrète en passant par Le Royaume ou Dans la vallée d’Elah. Sur un scénario signé par le brillant Aaron Sorkin (créateur d’une excellente série sur les arcanes du pouvoir, À la Maison Blanche), Mike Nichols choisit délibérément le ton de la farce pour mieux souligner l’absurdité de cette rocambolesque histoire de poules texanes, de députés drogués et d’agents de la CIA véreux qui, à eux seuls, ont largement contribué à la militarisation de braves « Combattants de la liberté » devenus, en partie à cause d’un gouvernement américain arrogant et méprisant, les Taliban dont l’administration Bush Jr. a fait son cheval de bataille.
L’entreprise est sacrément casse-gueule, mais l’écriture de Sorkin, qui sait si bien marier analyse politique, pédagogie et dramaturgie, accomplit dans le premier tiers du film quelques miracles. Les scènes s’enchaînent souvent avec brio, jonglant avec dextérité de la comédie pure à la thèse journalistique la plus sérieuse. Dommage que la mise en scène pataude de Mike Nichols viennent mettre en péril l’ensemble, à l’instar de cette scène ultra-vaudevillesque où Wilson doit à la fois expliquer à Avrakotos les détails de l’affaire qui est en train de se tramer et régler avec sa nuée d’assistantes un mini-scandale mettant en péril son mandat de député (sexe, drogues et playmate sont au menu). Portes qui claquent, acteurs qui cabotinent : un pied dans Working Girl, l’autre dans Primary Colors (son film sur les dessous de l’ascension au pouvoir de Clinton), Mike Nichols s’embrouille un peu, et le spectateur aussi. L’esthétique très eighties, clinquante et flashy comme un épisode de Dallas, n’arrange rien à l’affaire.
D’autant que la satire politique tourne court : si volontaires et talentueux qu’ils soient, les comédiens trimballent avec eux toute une filmographie qui a régné sur le box-office des années 1990. On sent bien que les producteurs tentent tant bien que mal de reproduire un peu de la magie de cette époque bénie, excellent argument publicitaire pour un film autrement peu vendeur, mais au détriment de l’ambition initiale, celle de traiter avec un humour féroce le tempérament colonialiste de la plus grande puissance mondiale qui ne sait pas encore qu’elle finira par se prendre son cynisme en pleine gueule. Au bout du compte, le film arrache quelques sourires mais peine à dépasser l’anecdotique. Comme l’une de ces histoires « incroyables mais vraies » que l’on lit distraitement dans une salle d’attente avant d’aller se faire arracher une dent.