Loin de l’animation numérique qui fait florès ces dernières années, la ressortie sur les écrans d’un programme de cinq courts métrages du Tchécoslovaque Karel Zeman souligne l’intemporelle magie des films artisanaux. Produits entre 1945 et 1972, Rêve de Noël, Le Hamster, Le Fer à cheval porte-bonheur, Monsieur Prokouk horloger et Inspiration font la démonstration du talent de Zeman, qui s’est essayé, durant plus de trente-cinq ans à une multitude de méthodes de réalisation.
Moi, je construis des marionnettes…
Fasciné par le théâtre de marionnettes, il s’intéresse très tôt aux possibilités d’effets spéciaux et d’animation des petites poupées, travail que l’on retrouve dans Rêve de Noël réalisé en 1945. Mêlant des prises de vues réelles et de l’animation, le court-métrage narre l’ostracisation d’un pantin, jouet autrefois adoré d’une petite fille mais délaissé depuis qu’elle a découvert ses nouveaux cadeaux de Noël. La petite figurine de tissu organise alors un spectacle merveilleux pour regagner le cœur de la fillette. L’année suivante, Karel Zeman réalise Le Hamster avec la même technique d’animation de marionnettes mais avec un thème moins onirique. Récit édifiant où un groupe d’animaux s’unit pour survivre à une montée des eaux, tandis que le hamster fait cavalier seul et en subit les conséquences, ce film impressionne par la minutie du travail. Chaque personnage prend vie grâce à une incroyable fluidité de l’image. Mais la maîtrise de ce singulier artisanat n’est pas la seule force de Zeman. Le cinéaste, auréolé d’un prix au festival de Cannes pour Rêve de Noël en 1946, s’inspire autant dans Le Fer à cheval porte-bonheur du comique et de la rapidité du slapstick (à la manière de Mack Sennett ou Buster Keaton) que de la réflexivité d’un long plan séquence montrant la modernité du travail en usine (citant ainsi Les Temps modernes).
La Tchécoslovaquie en filigrane
Travailleur acharné, Zeman invente en 1946 le personnage qui marquera plusieurs générations de Tchécoslovaques : Monsieur Prokouk (nom qui signifie « celui qui a percé à jour une énigme »). Héros de Un fer à cheval porte-bonheur et Monsieur Prokouk horloger (1972), le bonhomme de bois symbolise le citoyen lambda confronté à des problèmes quotidiens. Les vertus éducatives de ces courts-métrages, souvent dévolus à inciter le peuple à de bons réflexes, s’inspirent grandement des études publicitaires de Zeman. Mais qu’il soit réalisateur ou scénariste, il parvient sans mal à transfigurer ce qui pourrait n’être qu’une leçon de morale propagandiste en véritable création artistique. En multipliant les méthodes d’animation (marionnettes, dessins animés, collages et pour Inspiration animation de poupées de verre), en y adjoignant un sous-texte politique ou social (l’évolution politique de la Tchécoslovaquie est plus que sensible dans ses travaux à partir des années 1950 et ce jusqu’à sa mort en 1989), les films de Zeman s’adressent à un public bien plus large que les seules têtes blondes.
La sophistication de ses effets, l’érudition qui affleure à chaque plan (Gustave Doré, l’expressionnisme) et la diversité de ses œuvres (Le Baron de Münchhausen, Le Dirigeable volé inspiré d’un roman de Jules Verne, Sindbad) sont autant de facettes de la magie Zeman. On peut sans mal débusquer les cinéastes héritiers de cette intempestive créativité, même s’ils n’officient pas au sein de la triade contemporaine des pourvoyeurs de films pour enfants.