Dix ans après le reboot foireux de Burton qui l’avait laissée moribonde, La Planète des singes revient sous forme d’un prequel. Le roman de Pierre Boulle, fidèlement porté à l’écran par Franklin J. Schaffner en 1968, se présentait comme le rêve fantastique d’un pilote américain se retrouvant, au terme d’un vol, sur une planète dominée par des singes tyrans. Son relativisme SF, par l’inversion des rapports de pouvoir entre humains et animaux, lui permettait de croiser plusieurs thèmes : racisme, lutte des classes, dérives scientifiques et catastrophe nucléaire. Le récit se refermait sur un panorama sidérant, où le héros, interprété par Charlton Heston, tombait sur les ruines d’une statue de la liberté recouverte par des sables séculaires. Plus de doute : cette Planète, enfer des humains devenus rats de laboratoire, n’était que le devenir de notre mère la Terre.
Le message était clair : orgueil et vanité, éternelle hybris de l’espèce humaine. D’où notre questionnement sur la pertinence d’un prequel : la version 2011 ne serait-elle qu’un retour insistant sur la signification tacite de ce dernier plan ? Il semblerait bien que le film de Rupert Wyatt vise a remplir le gouffre qui sépare la fable futuriste d’aujourd’hui, à illustrer précisément ce que l’opus de 1968 nous suggérait. Mais pas seulement. Il trouve aussi là l’occasion de jongler avec des poncifs de la SF écolo qui retrouvent, aujourd’hui, une actualité nouvelle. La déferlante de catastrophes récente — tsunamis, tremblements de terre, fission de réacteurs nucléaires — n’appelle plus la mise à distance de l’ « anticipation ». Le monde semble se renverser sous nos yeux. Dès lors, la nouvelle Planète des singes s’occupe moins d’avertir l’espèce humaine des dangers qui la menacent que de promettre une révolution prochaine (il suffit de voir les affiches du film et son singe au poing levé pour s’en convaincre).
Nous emboîtons le pas d’un jeune biologiste (James Franco), travaillant pour une multinationale pharmaceutique au développement d’un virus censé lutter contre la dégénérescence du cerveau. Avant de soigner Alzheimer chez l’homme, il teste ses produits sur des chimpanzés. Mais les visées mercantiles d’un manager le poussent vite à abandonner ses recherches. Qu’à cela ne tienne. Il recueille chez lui un spécimen rare, produit de son laboratoire : un singe nourrisson chez qui le virus a muté en particularisme génétique. Il pense plus vite et mieux que ses congénères. Ses capacités cognitives décuplent jour après jour. Sa croissance rejoue à elle seule l’évolution prodigieuse qui sépare l’homme de l’animal.
Le film prend alors un virage des plus insolites. De la science-fiction, il dévie vers la forme plus ample, plus scandée, du récit biographique. Se succèdent toutes les étapes qui feront de notre singe mutant rien moins qu’un charismatique chef révolutionnaire. On retrouve ici, si l’on veut, quelque chose de la forme « rétrospective », de la fatalité du biopic, où chaque scène converge vers une destinée, où derrière chaque fait se cache l’anguille d’une vocation.
1. L’enfance solitaire : surdoué, le jeune singe regarde par la fenêtre de sa chambre les enfants du quartier faire du vélo, sans pouvoir se mêler à eux. 2. La crise d’adolescence : on le retrouve quelques années après, grognon, et vêtu d’un sweat-shirt qui le fait ressembler à un skater. 3. La délinquance : une poussée d’instinct l’amène à croquer le doigt d’un voisin fouineur. 3. La maison de correction : il se retrouve emprisonné, pour dangerosité, dans une ménagerie simienne. 4. L’éveil politique : il découvre ses semblables enfermés dans des cages et servant de cobayes aux humains. 5. L’expression du refus : dans un accès de rage, acculé à la parole, notre singe expulse son premier mot, « No !», hors du gosier. 6. L’organisation d’une révolte : il œuvre à la libération de ses frères et les lance, tels une petite armée, à l’assaut de San Francisco.
Le film, en dépit de ses maladresses, excelle sur deux points. D’une part, il trouve en ses singes encagés, abusés, privés de parole et affamés, l’image parfaite des conditions de vie d’un sous-prolétariat, réduit à l’état bestial. D’autre part, il poursuit dans le visage de sa créature, toute en images de synthèse — plus de trace des anciennes combinaisons en latex poilu — la percée d’un regard qui, de l’apathie animale à la résolution militante, décrit l’éveil d’une conscience de classe, tout en embrassant l’évolution des espèces. Ce n’est pas négligeable. C’est même assez poignant.
On peut tout de même s’interroger sur ce manuel de marxisme incongru, échoué dans un blockbuster estival. Cela ne serait pas dérangeant si La Planète des singes : les origines ne traînait tout du long une bigarrure irrésolue. Wyatt fait souvent le forcing sur le récit et use de bon nombre de facilités pour imposer (nous vendre ?) son idée de révolution. Certes, dans la série, la mise en scène a toujours moins compté que l’illustration d’un message contestataire à la mode du jour. Car enfin, pourquoi Hollywood choisit-il de représenter ces damnés de la terre sous des traits simiesques ? Pour les seuls besoin de la métaphore ? Le doute plane. On ne sait plus, finalement, si s’agit d’assimiler le singe à l’homme ou l’homme au singe. Cherche-t-on à nous avertir des fureurs de la Nature ou à nous faire frémir d’une reconfiguration sociale ? Qu’on résolve ou non la question a peu d’importance : c’est le doute lui-même qui pose problème. Un problème, aussi bête soit-il, de sincérité, qui vient freiner le bel élan de l’entreprise.
La raison de tout cela est assez simple. La Planète des singes est, depuis bien longtemps, devenue une franchise. À cela, rien d’offusquant. Si ce n’est que, malheureusement, on se rend compte que la politique, la contestation, la lutte des classes, la révolution, enfin tout ce dont la mise en scène aurait pu faire son sel, sont désormais, ont peut-être toujours été, inscrites froidement dans son cahier des charges.