L’échec complet de La Prunelle de mes yeux d’Axelle Ropert a ceci de regrettable que le film ambitionnait, en faisant évoluer l’action dans un monde entièrement autonome, dépourvu d’un quelconque ancrage dans le réel ou de considérations sociologiques, de se frayer un chemin heureux dans le champ miné de la comédie française. Il était déjà aisé d’apercevoir le corrélat de pareil postulat : imaginer, en creux, ce que d’aucuns appelleraient une « bulle de bonheur », bref un remède à la grisaille offert par un horizon fantaisiste – soit, ici, l’histoire d’un jeune musicien grec (Bastien Bouillon) qui, pour séduire sa voisine aveugle (Mélanie Bernier), prétend l’être lui-même. Il y avait de quoi retrouver, au travers ce dispositif absolument simple, une certaine essence de la comédie, entendue comme façon de faire circuler et avancer chaque fois le jeu des apparences et des déplacements, lesquels seraient autant des déplacements des sens que des déplacements des signes. Et en fondant le tout dans la morale de mise en scène que Ropert recommence, désormais à chaque film, à se prescrire avec la même exigence : une forme de modestie qui peut confiner à la fadeur mais qui, auparavant, ménageait parfois un art de l’esquisse et de la petite forme – disons : de la demi-teinte – ô combien bienvenu dans l’horizon du cinéma d’auteur casseur de baraque. Autrement dit : une conception pleinement démocratique de l’écriture, au creux de laquelle les films s’égalisent selon leur commune absence de titre à hausser le ton.
Énergie contradictoire
Reste que La Prunelle de mes yeux échoue sur toutes les pistes qu’il sème, et qu’hélas il y en a déjà fort peu. C’est qu’il partage d’abord avec un cinéaste comme Emmanuel Mouret un même horizon classique, certes également dissimulé sous les allures de pure fantaisie, mais feignant ici le comique de vannes pour retrouver, au coin d’un dialogue, l’énergie conflictuelle de la screwball, énergie redoublée par le fait qu’un espace occupé par des aveugles est un espace d’entrechocs (physiques) permanents. Or partout les limites de l’écriture, autrefois louable mais ayant toujours frayé avec le télévisuel, affichent un paradoxe dont il sera difficile de se relever. Si la galerie des personnages, par exemple, ne saurait certes pas être réduite à l’agrégat figé de types sociologiques, sa fixation dans des entités intégralement désincarnées (soit : la sœur droguée, l’employé de Pôle Emploi qui n’aime pas sa patronne, etc.), traduite à l’image par un goût très prononcé pour la vignette, reconduit pareilles apories, en ce que la caricature entrave – et ce, constamment – l’épanouissement d’une morale classique, pourtant clamée çà et là à grands coups d’intentions surlignées. Ce surgissement du type comique, qui se tient principalement dans les à‑côtés du récit, ressort évidemment d’une volonté de redonner à la gratuité ses lettres de noblesse, histoire de ne pas tout écraser sous le ronflement d’un scénario dactylographié. Mais en abandonnant l’idée même d’en faire un moteur d’émulation formelle – et le film est parfois d’une rare indigence, noyé dans l’application scolaire, et déjà pourtant laborieuse, de ses principes (en termes de vélocité, notamment) –, jamais Ropert ne dépasse la perspective morte-née d’un mariage de deux comiques (l’élégance et la grossièreté, pour faire vite) qui ne se rencontreront jamais. Le film donne ainsi l’impression désagréable d’une leçon non-retenue du perfectionnisme – de ce conflit aurait dû sortir, après l’effort, une meilleure version de soi-même.