Pour qui voir Christian Clavier en rigoriste social-démocrate intrigue, La Sainte Victoire peut amuser. Un instant. Pour les autres, que l’on imagine tout de même assez nombreux, il leur faudra se contenter d’une écriture lamentable, d’une mise en scène migraineuse et, cerise sur le gâteau, d’un ânonnant Clovis Cornillac, grimé en Séguéla-like.
Tabou consensuel dans le cinéma français, la figure de l’homme politique n’est que très rarement traitée. On se souvient du film d’Henri Verneuil en 1961, Le Président, avec Gabin en président du Conseil, ou Le Bon Plaisir en 1982, relatant quelques scandales à la tête de l’État avec fille cachée (un an après l’élection de Mitterrand…) et lettres volées à l’appui. Plus près de nous, on s’est ému du très médiocre Président de Lionel Delplanque, du passable Candidat de Niels Arestrup ou du digne Promeneur du Champ-de-Mars, signé Guédiguian. Il y eut, encore plus loin de nous, les « séries Z » de Costa-Gavras et Yves Boisset dans les années 1970, ou la réaction conservatrice, Belmondo et Delon en têtes de gondoles (l’évocateur Mort d’un pourri de Georges Lautner). Tout cela fait très pâle figure face à la concurrence étasunienne, très friande de thrillers politiques et de portraits pas piqués des hannetons (pour le pire, W. d’Oliver Stone, ou pour le meilleur, Harvey Milk de Gus Van Sant). Grande constante différenciatrice : là où les États-Unis n’ont pas peur de désigner nommément les personnages (Nixon, Milk, Bush, JFK, Charlie Wilson, etc.), en France, pleutres ou romanesques, nous inventons, nous bifurquons, nous jouons avec les noms pour ne pas avoir à nous coller de trop près au réel. À quoi bon penser que La Sainte Victoire va changer la donne d’une telle représentation sclérosée et craintive ?
Il n’en est rien, bien sûr. François Favrat nous promet pourtant du croustillant, du bon gros ragot qui croque sous la dent, à base de trafics d’influence et de manigances pas glorieuses. Vincent Cluzel est député, candidat aux prochaines élections municipales. Droit dans ses bottes et les principes de « justice sociale » vissés au corps, il veut bouter hors de la ville le maire véreux en place. Le film ne se défait jamais de son hypocrite objectivité : on ne connaît pas le bord politique du candidat (de positions idéologiques, il n’y en a quasiment pas), même si ses opinions sociétales en font un social-démocrate bon teint, modéré comme il faut pour ne pas effrayer la ménagère. En face de lui, se tient un architecte local, Xavier Alvarez – Clovis Cornillac, en quête perpétuelle de reconnaissance. Même s’il fait apparemment du bon boulot, le gaillard se fait rafler tous les marchés publics par plus arroseur que lui. En apprenti Séguéla sans ride, Alvarez s’improvise conseiller en communication du candidat-outsider, et in fine, fait remporter la mise électorale à son poulain… Autour de ces deux loustics papillonnent quelques stéréotypes : la fille du politique, d’apparence sévère mais moins corsetée qu’il n’y parait ; le copain au cœur tendre ; le grand-père machiavélique ; la traîtresse bessonnienne…
Bling-bling jusqu’au bout des ongles, Xavier Alvarez court depuis son enfance vers la réussite et les Rolex. Cette ambition, on nous l’assène dès le départ et une séquence rétrospective bien lourdaude : Xavier, à quinze ans, reluque la montre d’un attaché-case sur pattes, se jurant de ressembler un jour à un flambeur courtier d’assurances. Voix-off lancinante, retour au présent, constatation : Xavier a l’allure d’un Christian Audigier nourri au cassoulet. Outre l’aspect clairement déterministe de l’affaire, donc foireux, on constate avec dépit la maladresse effarante de l’écriture. Les effets de manche tombent à plat, les épanchements émotionnels sonnent faux : il faut voir Sami Bouajila confier son passé autour d’un feu de camp, encouragé par Cornillac sur le mode du « vas‑y petit, sors-moi tout ça ». Emballez toute cette mièvrerie pataude dans un emballage clipesque tape-à‑l’œil et il ne vous reste plus qu’à vous réfugier devant The West Wing, série autrement plus pertinente dans l’exploration de l’action politique, loin du schématisme fallacieux de La Sainte Victoire.