George W. Bush est un mauvais président. Là-dessus nous sommes tous plus ou moins d’accord. Mais est-il un bon personnage de fiction ? Ce fils à papa pas très futé mais qui, par besoin de reconnaissance paternelle, va atteindre les plus hauts échelons de la politique américaine jusqu’à devenir président, a de quoi stimuler les scénaristes hollywoodiens. Et Oliver Stone, en quête d’un sujet sulfureux pour remonter sa cote, nous livre cette biographie à chaud.
En raison des sujets qui parcourent sa filmographie, on a souvent catalogué Oliver Stone de cinéaste dérangeant et politiquement engagé. Son style visuel de plus en plus agressif devait de surcroît garantir la teneur cinématographique de ses films par ce tour de passe-passe un peu simpliste qui consiste à faire croire que de la digression esthétisante naît la profondeur thématique, façon Michael Mann. Pourtant, en y regardant de plus près, il semble que ce serait plutôt le contraire. Pour commencer, Stone est très loin d’être un formaliste russe, et donc bien incapable de faire jaillir un quelconque discours de son découpage racoleur. Ensuite, il ne traite pas les événements qui ont bousculé l’Amérique depuis les années 1950 pour en dénoncer le dysfonctionnement, mais pour exorciser un traumatisme. Il n’est pas là pour pointer une culpabilité mais pour soulager les consciences. Il aplatit les plis de l’histoire avec le fer de la fiction. Fiction très hollywoodienne où, à cause de mauvais démons, les affaires d’État ne sont pas excellemment bien gérées. Bref, c’est le mal qui est en cause, pas vraiment l’Amérique. Cette vision des choses ne donne pas nécessairement du mauvais cinéma, mais elle en limite considérablement la portée politique.
C’est pourquoi il y avait quelques appréhensions à le voir s’attaquer à l’actuel président des États-Unis d’Amérique, George W. Bush. On pouvait craindre que les tentatives de déculpabilisation s’activent cette fois-ci « au présent », sous forme d’un portrait où on s’efforcerait de l’humaniser à travers les artifices du scénario, comme cela avait été le cas pour Nixon. Mais nous avions eu le temps alors de ruminer notre rancœur à l’égard du vieux Dick et de son Watergate. Là, nous sortons à peine de la dramatique bêtise de l’administration Bush, de sa nullité face aux attentats du 11-Septembre, de son odieuse guerre prétexte. Le gouvernement républicain n’a que trop exacerbé les pires valeurs que dissimule la bannière étoilée (repli sur soi, paranoïa religieuse, stigmatisation des figures diaboliques) et du haut de sa toute-puissance en a imprégné le monde. Bush n’est pas le fautif de cette nullité ambiante, mais il la symbolise. Et il n’est pas certain que la caméra dépolitisante de Stone soit capable d’en rendre compte.
Seulement voilà, devant W., devant ce biopic en direct, où le sujet de cinéma est encore un sujet d’actualité, une dichotomie s’opère: ce n’est pas Bush le film qui éclaire Bush le président, mais l’inverse. Tous les mécanismes du cinéma hollywoodien deviennent apparents, flagrants. On se rend compte à quel point le cinéma d’Oliver Stone tient de cette pulsion très américaine qui réduit tout à un show. Et ici, le « Bush show » est un programme plutôt honorable à base de complexe œdipien qu’il faudra surmonter, de dépassement de soi pour atteindre les sommets et d’aveuglement face à la réussite. Rien que du classique. De plus, Oliver Stone, depuis quelques films, semble avoir calmé ses élans lyriques, la gerbe visuelle s’étant muée en une réalisation tenue et solide. Mais la vraie valeur ajoutée de ce gentil téléfilm est bien sûr d’y retrouver les figures de la classe politique américaine, plus ou moins bien incarnées, défiler sur le podium du grand écran, avec à leur tête un Josh Brolin très convaincant dans une interprétation qui privilégie le mimétisme au maquillage. Tout cela reste amusant.
Bien évidemment Stone n’ignore pas les enjeux politiques du film qui retrace la vie de Bush junior, de sa jeunesse dans les grandes universités jusqu’à la fin de son premier mandat. Très clairement, l’attitude du gouvernement, et particulièrement celle de Dick Cheney (excellent Richard Dreyfuss) face à Colin Powell, est fustigée de manière plutôt nuancée. Mais tout cela fait plus office de moteur scénaristique que de rage idéologique. C’est le cynisme hollywoodien qui est opérant, pas les convictions de Stone. Cette capacité de récupérer tous les sujets pour en faire des divertissements nous fascinera décidément toujours, malgré sa teneur douteuse, elle nous en Bush un coin.