Petit rappel à l’intention des personnes qui n’avaient accès à aucun média en 2002 : Jason Bourne est le héros d’une saga d’espionnage de Robert Ludlum en trois parties. Dans le premier et le deuxième épisodes, son corps est retrouvé au large de l’Adriatique et, au réveil, Jason Bourne tente de recouvrer une mémoire volée par les méchants de la CIA et d’autres organismes secrets. En 2007, il a réussi à se souvenir de certaines choses mais pas de tout, il remet donc ça. Paul Greengrass a l’immense avantage – sur Doug Liman, réalisateur du premier volet – de ficeler avec intelligence une intrigue en fait très mince. Mais il ne suffit pas d’avoir quelques courses-poursuites, quelques bruits d’hélicoptères et des plaies sur la visage de Matt Damon pour créer une tension dramatique.
Comme tout bon film d’espionnage américain qui se respecte, l’action débute… à Moscou. Bien que les vrais méchants ne seront pas les Russes, c’est toujours un joli portrait post-Guerre Froide de gagné. Jason Bourne qui, décidément, n’a pas beaucoup de chance, est encore en fuite. C’est incroyable comme il peut être poursuivi, cet homme : à peine le temps de camper un décor, une ambiance qu’il est déjà obligé de se recoudre à vif le bras, moyennant un gros plan sur ses dents serrées et son visage courageux et résistant. Car le vrai problème de forme du film se déroule du début à la fin. Si l’on était mauvaise langue, nous reprendrions à notre compte la rengaine de la CIA : « espérer le meilleur, prévoir le pire»…
Pendant quatre ans, Jason Bourne s’est demandé qui il était, puis qui lui a fait du mal (sa fiancée était morte) et comment se venger. Pour conclure la série, il va découvrir toute la vérité sur son passé trouble. Et il s’en donne les moyens : multiples identités, cache-cache avec la CIA qui sait tout mais ne peut révéler le secret de l’amnésie de Bourne sans se compromettre, beaucoup de voyages (Italie, Russie, France, Maroc, Angleterre…) et beaucoup de remue-ménage aussi. L’histoire ne tient qu’en quelques lignes et pourtant, Greengrass réussit pendant un temps à nous intéresser à son personnage, ultra caricatural au demeurant dans le style homme blessé mais déterminé, en ne forçant pas le trait vain de la complexité policière et en laissant le rythme souffler par moments.
Mais si le scénario prend le temps de développer quelques scènes sans jouer d’un montage trop rapide, trop tape-à-l’œil, le cadre et le son jouent sans cesse sur l’extrême. L’image titube donc beaucoup : comme pour appuyer la quête effrénée de Bourne, Paul Greengrass choisit souvent la caméra à l’épaule pour apporter une once de suspense, une touche de bousculades, une pointe de subtilité en somme. Il suit Matt Damon (tout à fait correct au demeurant), le filme sous toutes les coutures, toutes les expressions de visage (de la stupeur à la malice en passant par l’horreur de la découverte de sa propre vérité), et évidemment, toutes les casses possibles et imaginables. Finalement, que reste-t-il ? Un acteur plutôt en forme mais engoncé dans un personnage perdu dans les changements de rythme et les effets spéciaux, et beaucoup beaucoup de bruits de toutes sortes. Pas de quoi fouetter un Russe.