Dans un paysage de western oriental, un couple fait l’expérience tragique de l’incompréhension. Aride et majestueux, le film pousse la contemplation à son paroxysme, laissant quelques longueurs apparaître, mais imprimant une beauté flamboyante. Andreï Zviaguintsev avait exploré le manque indicible dans Le Retour, douloureux voyage initiatique familial. Son deuxième long métrage évoque toujours le fossé entre membres d’une même famille, s’insinuant cette fois dans un couple apparemment enviable. L’important ici est évidemment la magnificence de la photographie : mais ce que l’on peut souvent reprocher à ce genre de film -se reposer sur une photographie qui ne parvient finalement pas à masquer le néant scénaristique- n’existe pas ici.
Andreï Zviaguintsev a quelque chose d’un autre Andreï : Tarkovski. Le choix des décors est en cela particulièrement intéressant : Zviaguintsev retire de la ville comme de la campagne un calme plat, une aridité que l’homme n’arrivera jamais à transformer… Le Bannissement est plutôt l’histoire d’une famille qui se fond dans un décor, happée progressivement par l’absence de mouvement, par quelque chose qui évolue vers la mort, métaphorique ou non. Le film est ainsi ponctué de panoramas destinés à montrer la solitude de l’homme dans cet espace, vide d’humanité s’il n’est pas vide de sens. C’est une famille qui remplit l’espace : Alex et Vera, suivis de leurs deux enfants, quittent la ville industrielle pour la maison d’enfance d’Alex. La raison n’est jamais donnée avec précision : on soupçonne Alex d’appartenir à un réseau mafieux, et au couple d’avoir plusieurs crises à résoudre. La ville revient sous forme de flash-backs : et de cet entremêlement narratif, d’un passé contrastant et expliquant le présent, naît la crise.
Dans l’appartement citadin du couple, les êtres humains dialoguent, se font face ; la caméra arrondit les angles, et les arrières-plan, plus profonds, moins secs, mettent en scène un bonheur sans doute illusoire mais réel. Le principal décor est cependant cette campagne vierge d’urbanité : dans son retour à la nature, à l’enfance, à l’origine, Alex (interprété par Konstantin Lavronenko, prix d’interprétation à Cannes pour le rôle) redevient l’homme à la violence explosive. Loin du nid douillet du couple, le désert rend possible une simple claque d’un père sur son fils, prélude à une violence sourde, muette, et tragique. Le Bannissement est l’exemple parfait du film contemplatif : il ne contient presque aucun dialogue et toute la tension dramatique est contenue dans le montage, la progression des hommes dans le paysage. Alex plonge dans l’incompréhension et retrouve sa bestialité naturelle tandis que Vera, déracinée pour le meilleur et pour le pire, fait la paix avec elle-même dans le lieu étranger.
Le film raconte ainsi l’histoire de deux personnes qui se sont trompées de chemin : un indice a été trop pris en compte, et l’autre n’a pas démenti, n’a pas voulu se défendre. Dans la lenteur, la grâce, Zviaguintsev reste toujours à la surface de ses personnages, refuse toute explication tangible, ou discours psychologisant sur le couple moderne. Son film n’est pas non plus totalement descriptif : si la contemplation des espaces et des êtres prend une large place, elle n’existe que pour devenir de plus en plus étouffante. Comme la beauté du paysage est trop présente, trop éclatante, celle de Vera fait d’Alex un apeuré rongé par l’incertitude d’être aimé. Comme souvent dans ce genre de films, la photographie est absolument parfaite… et le film peut-être un peu long, notamment dans les flash-backs finaux qui expliquent définitivement l’origine de la crise. Mais il reste ces deux personnages, bannis d’eux-mêmes et du regard de l’autre, et cet espace, magnifique et cruel, vidé de son humanité.