Le Chant de la forêt s’ouvre et se referme sur une vision onirique près d’une cascade qui rappelle une scène fameuse d’Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. Il y a en effet du Weerasethakul dans le film de João Salaviza et de Renée Nader Messora (également autrice de la photographie), mais greffé à une forme proche du film ethnographique, dans une logique d’hybridation, déjà maintes fois évoquée depuis la projection du film au dernier Festival de Cannes dans la sélection Un Certain Regard, entre les cinémas de Jean Rouch et du metteur en scène thaïlandais. Si le film tire ici et là profit de ce mariage (tel ce très beau raccord étiré, qui marque la fin de la partie « urbaine », où les espaces se mêlent sous une pleine lune imperturbable), ce dernier n’en relève pas moins d’une stratégie discursive dont on peut questionner la pertinence.
L’entrelacement entre la fiction et le documentaire procède d’une chaîne causale : le rêve initial, qui ouvre la porte au fantastique (un mort y parle, le son de la forêt se gorge des bruits aquatiques d’un fantôme, une flamme crépite au milieu d’un cours d’eau), induit par la suite une étude des rites et traditions de la tribu indigène des Krahô. Il s’agit de fait moins d’un processus dialectique (le fruit composite de l’alliance entre fiction et documentaire) que d’un principe d’alternance : le prologue (onirisme) marque la préparation d’une cérémonie funéraire (documentaire), tandis que plus loin une traversée de la forêt amorce une suite de plans sensoriels (onirisme : des gros plans sur un perroquet présenté comme un esprit, des reflets sur l’eau pour figurer les visions du personnage principal, etc.) actant une révélation et avec elle l’étude d’un nouveau milieu (documentaire : une ville proche de la réserve). Dès lors, l’origine mystique de la fuite vers la ville apparaît également comme un prétexte pour rendre compte de la condition des indigènes dans une société blanche. Le tissage narratif, trop didactique et un peu vain dans ce qu’il charrie, ne permet ainsi jamais une véritable interpénétration des deux régimes qui, à quelques exceptions près, ne semblent que se passer successivement le relais. Si les derniers plans soulignent la présence d’un horizon fantastique irriguant les deux tonalités (via la segmentation en deux du cadre par une ombre, par un seuil et finalement par la surface du cours d’eau au pied de la cascade susmentionnée), le film n’en reste pas moins un objet à deux visages, à la fois documentaire assez anecdotique et film moderne qui, en dépit de sa plastique parfois réellement singulière, n’échappe pas à un certain académisme.