Patpro, le vieil indigène brésilien dont la parole guide La Fleur de Buriti, raconte un souvenir : des enfants citadins qui visitaient son village ont voulu toucher les habitants pour vérifier qu’ils étaient bien « fait de chair et d’os comme eux ». Le film s’attelle à saisir le rapport ambivalent que le peuple Krahô, en symbiose avec la nature, entretient avec le contemporain, dont la présence transparaît ici et là (un téléphone portable, une voiture ou une moto, etc.). Cet entredeux s’exprime par un procédé récurrent, qui consiste en la surimpression de deux plans d’un même personnage, immobile sur l’un, en mouvement sur l’autre. Ce dédoublement des êtres symbolise aussi la manière dont les mots de Patpro, débités de manière hypnotique, traversent et relient les époques par l’évocation de plusieurs événements. Interprétées, au moins en partie, par les mêmes acteurs que les scènes du temps présent, ces analepses (parmi lesquelles figure une bouleversante scène nocturne dans laquelle les fermiers alentours détruisent le village et assassinent la plupart de ses habitants) participent d’un brouillage de la temporalité du film, entretenu par les aller-retours permanent du narrateur entre le présent et le passé. C’est qu’il est moins tant question, pour João Salaviza et Renée Nader Messora, de retracer fidèlement l’histoire des Krahô que de représenter la persistance de leur mode de vie singulier et leurs coutumes ancestrales. Couvrant presque un siècle de leur histoire, les récits de Patpro révèlent la ténacité persistante du peuple face à des menaces diverses (la conquête des terres, les vols d’animaux sauvages, etc.). L’enjeu reste toutefois le même : protéger leur relation intime avec leur environnement.
Au-delà de la question de la transmission d’un héritage (le film se clôt sur un accouchement) se pose, à travers les récits de Patpro, celle de la perception du monde par les autochtones. À l’exception de quelques échappées citadines (dont une manifestation pour la défense des droits des autochtones à Brasilia), où nombre des participants ne cessent d’ailleurs de regarder la caméra, certainement troublés d’être ainsi filmés, les cinéastes entretiennent une certaine distance fictionnelle lors des scènes en immersion auprès des Krahô – une distance d’autant plus paradoxale qu’ils interprètent leurs propres rôles. Par cet enchevêtrement entre documentaire et fiction, ils essaient de figurer, au-delà de l’évidente magnificence des images (pourtant jamais démonstratives) de pleine nature, un certain émerveillement continu, saisi en épousant le regard des personnages/acteurs : ainsi des plans récurrents sur les braises d’un feu qui s’envolent avec les volutes de fumée, que la caméra, en un panoramique vertical, confond avec l’intensité des étoiles du ciel amazonien. Ce feu, sous lequel le film s’ouvre et se referme, c’est le foyer accueillant les récits : La Fleur de Buriti témoigne de ces instants fragiles où la parole transcende le temps pour mieux rendre compte de sa nécessité.