Avec une ambition romanesque démesurée, Le Chardonneret entremêle les époques, multiplie les personnages, les situations et les intrigues, quitte parfois à perdre de vue son fil conducteur, à savoir cet enfant qui tente d’apprendre à grandir tout seul et à vivre avec son deuil sans y parvenir, jusqu’à devenir un junky et un escroc. Les meilleures scènes sont d’ailleurs celles où l’idéalisme, la naïveté ou l’inconséquence enfantins de Theo se heurtent à la rigueur et aux failles des adultes. Par exemple, lorsqu’il fait face à la pugnacité des policiers qui enquêtent sur l’explosion ayant causé la mort de sa mère, puis quand il reste glacé par la violence physique de son père.
Si la relation entre Theo et Ms. Barbour, tissée tout au long du récit et qui passe d’une méfiance mutuelle à un vrai sentiment filial, semble empreinte d’une certaine sincérité, toutes les autres sonnent faux. Sans doute parce que les personnages, souvent réduits à de simples clichés, peinent à exister dans une narration trop foisonnante. Dans ce contexte, les démons du jeune homme se trouvent systématiquement remisés au placard, à l’image du Chardonneret, le petit tableau disparu qu’il garde caché dans un débarras. Les facilités scénaristiques qui, à force d’ellipses, ne se résument plus qu’à un vain enchaînement de rebondissements, apparaissent d’autant plus regrettables que le film contient certaines idées intéressantes laissées en friche : les conflits de classes larvés à New York, la représentation presque fantastique des dégâts matériels et psychiques de l’explosion, ou encore le lotissement abandonné en plein désert où vivent Theo et Boris livrés à eux-mêmes. Mais à force de vouloir trop en faire, John Crowley prive Le Chardonneret de toute épaisseur, préférant sans cesse l’immédiateté du coup de théâtre à la noirceur.