Deux seconds rôles dans Lions et agneaux et Deux sœurs pour un roi : autant dire que la carrière d’acteur d’Andrew Garfield n’avait pas donné à voir une grande partie de son talent. Le jeune acteur prend certainement son envol sous la direction de John Crowley dans le rôle-titre, à hauts risques, de ce sombre Boy A. Une interprétation remarquable pour un film difficile, sans faux-semblants, et moralement audacieux.
Jack Burridge est le nom qu’il se choisit, mais pour l’Angleterre entière, le jeune homme est connu sous le nom de « Boy A ». Connu parce qu’étant l’un des deux accusés du meurtre d’une petite fille, alors qu’il était lui-même collégien. À sa sortie de prison, des années plus tard, Jack se voit accompagner par un éducateur, seul au courant de sa véritable identité, sur la voie de la réinsertion. Mais entre son passé et ses propres démons, le jeune homme parviendra t‑il à retrouver sa place ?
« Tu as payé ta dette, tu as gagné le droit d’être Jack Burridge » assène au jeune homme son éducateur Terry. Jack a‑t-il gagné ce droit ? Si Terry en est convaincu, libre choix sera laissé au spectateur de se faire une idée. John Crowley dresse avec Boy A le portrait d’un enfant dont l’adolescence s’est passée derrière les barreaux, pour un crime objectivement monstrueux. Andrew Garfield campe avec un abandon parfois très impressionnant – notamment dans la scène de la discothèque – ce jeune homme qu’on devine s’être nourri de rêves derrière les barreaux, et qui se retrouve confronté au monde réel. Sans avoir jamais réussi à se forger le cynisme nécessaire à la vie en société, c’est moralement vierge qu’il affronte celle-ci.
John Crowley ne part pas en ayant pardonné à son personnage – il tente, plutôt, de dresser le portrait d’un individu largement trop jeune et trop influençable pour avoir réalisé les conséquences de ses actes, alors qu’il suivait les pas de son seul ami, un garçon très violent. Dès lors, Crowley place son film un cran au-dessus de son interprétation morale – que Jack soit réellement coupable et donc doive être puni ne l’intéresse pas, c’est l’affaire du spectateur de s’interroger à ce sujet. En revanche, le réalisateur est plus intéressé par la description des atermoiements moraux de son héros, du point de vue duquel il se placera toujours – sympathique au sens propre du terme.
Difficile position que celle de spectateur de Boy A : Crowley ayant réussi à s’éloigner d’un traitement moral de son sujet, il reste à son spectateur à faire le même chemin – car la culpabilité n’est aucunement au centre du film. Ce dernier est avant tout le portrait d’une remarquable intensité d’un individu éloigné du monde, et confronté à celui-ci. Crowley va ainsi construire un réel étrange, tout en ombres omniprésentes, en champs-contrechamps floutés, comme pour figurer l’isolement, la perte de repères de son héros. Andrew Garfield, quant à lui, survole le film, laissant loin derrière le reste de la distribution (particulièrement Peter Mullan, assez attendu tout au long du métrage), et compose un Jack indécis, naïf et rongé par sa part d’ombre tout à fait digne d’éloges.
Boy A peut-il être qualifié de film misérabiliste ? Ce pourrait être le cas. On aurait peut-être préféré, en effet, que Jack ne secoure pas une petite fille accidentée, faisant de lui un héros positif. Si cette scène tend légèrement à influencer le jugement, on retiendra cependant la construction montée du récit, passablement fine, qui permet de faire la connaissance conjointe de Jack et de « Boy A ». On retiendra également, et surtout, le personnage de Jack, remarquablement écrit et interprété, par un Andrew Garfield qui justifie à lui seul de découvrir ce film.