Première adaptation d’une BD de Marjane Satrapi par son auteur — en tandem avec Vincent Paronnaud, venu lui aussi du 9e art — Persepolis avait séduit à sa sortie. L’usage malin de l’animation — a fortiori pour une œuvre autobiographique, le portrait d’une enfance échappant à la niaiserie et la peinture décalée d’un Iran moins figé que dans l’imagerie commune avaient suffi à donner à beaucoup des gages de fraîcheur, d’originalité et d’âme. Avec Poulet aux prunes, une autre adaptation de planches de Satrapi, le tandem remet le couvert, mais cette fois en prise de vue réelle. On retourne dans l’Iran monarchique du XXe siècle, cette fois à travers la pure fiction et sous un angle plus fantasmé que réaliste (malgré une conversation politique dans un café qui ressemble plus à un passage obligé qu’à une sincère volonté d’évocation). Oyez donc la tragique histoire d’un violoniste talentueux, mais aigri et privé d’instrument, qui décide de plaquer le monde, ses enfants et sa mégère d’épouse qui n’entend rien à l’art, en s’enfermant dans sa chambre pour y mourir. Cela lui prendra plusieurs jours, le temps de revisiter par séquences son passé, son présent et son legs.
Combien de fois avons-nous été tenté de résumer notre opinion sur un film volontaire mais imparfait par cette petite formule condescendante : « Ce film, c’est pas… (insérer ici un titre de chef d’œuvre communément admis)». Voilà ce qui pend au nez du gros et gras Poulet aux prunes : « C’est pas Citizen Kane. » C’est peu de le dire. Dans le genre de la chronique morcelée, le film sue à grosses gouttes pour se positionner en apologie de la narration, du conte et de la fable, laissant deviser le narrateur off Édouard Baer avec son reconnaissable ton affecté de dandy, ne lésinant pas sur le pictural avec l’appui de la photo léchée de Christophe Beaucarne — voire de quelques plans d’animation –, lâchant à quelques reprises de grosses volutes de fumée synthétique pour nous faire signe de nous laisser aller à l’enivrement et à l’évasion de l’esprit… Mais il semble que Satrapi et Paronnaud aient une bien piètre opinion des fables, des contes et de l’esprit : leur compilation d’histoires, de tranches de vie ainsi enluminées s’avère une succession de belles coquilles vides, images d’Épinal sur la vie, la mort, le destin, les amours déçues, les idéaux politiques, l’âme de l’artiste (auquel, visiblement, on trouve plus d’excuses qu’au militant pour envoyer paître la vie de famille…) et j’en passe, pauvreté à peine déguisée par un humour n’amusant la galerie que parce qu’il n’a rien d’autre à dire. Pire : à force d’excuser la vacuité de leur film en faisant mine de ne viser que le plaisir du conte, les caricatures méprisantes dans lesquelles les réalisateurs versent çà et là (l’épouse imbuvable et affublée, comme il se doit, d’une coupe au bol et de grosses lunettes ; l’American way of life embrassée par le fils…) trahissent leur vision assez misérable de leurs personnages, réduits à de purs accessoires pour flatter les sentiments du public. Que ce soit sur un mode comique ou dramatique, les uns sont faits pour attendrir, les autres pour susciter un rejet facile et pas cher.
Poulet pas frais
Une telle complaisance dans le brassage de fumée un peu rance inspire deux réflexions. D’abord, elle rappelle que cette façon de caresser le public dans le sens du poil, en feignant l’impertinence aux dépens d’une vraie vision du monde, n’était déjà pas étrangère au ton « frais », « décalé » et « frondeur » que certains ont tant apprécié dans Persepolis. Il y a chez ces réalisateurs un goût pour la facilité à poser en chroniqueurs doués d’esprit critique sur des bases aussi consensuelles et néanmoins discutables. Et puis, leurs tentatives esthétiques témoignent d’une position plutôt bancale quant à leur artisanat, recherchant moins une mise en scène qu’un trait de dessin, un graphisme : cela ne tient pas seulement au recours occasionnel à l’animation ou à la rutilance des couleurs, mais aussi à une certaine insistance à vouloir, par le cadrage et le découpage, faire rentrer les scènes et les personnages dans des cases (une scène de dispute conjugale sur-découpée applique l’idée à la lettre). Tendance qui, en somme, s’accorde bien avec la vision mécanique du monde qu’ils déploient : chacun dans sa case… De toute évidence, même en jouant de la caméra, Satrapi et Paronnaud continuent de lorgner vers la bande dessinée – mais sous son pur aspect d’illustration, en l’occurrence celle, maligne, d’un univers de petits fantasmes assez antipathiques.