Le film est basé sur une histoire simple : la menace financière qui pèse sur une revue de cabaret de province, dont la succession est prétexte à la résolution d’une situation de crise ou plutôt de dispersion familiale. L’idée originale du scénario est de préférer au réalisme de l’histoire de famille qu’affectionne d’ordinaire le cinéma français, les paillettes du show, le fantastique du retour des morts et des amants, et la présence diffuse de la magie. Malheureusement, c’est sans parvenir jamais à nous convaincre du lien réel qui réunit spectacle populaire, magie et cinéma car Le Héros de la famille regarde le nombril de ses acteurs au risque de les desservir.
Faire endosser un rôle type à un acteur, au regard de son apparence physique et de sa filmographie est un travail de cinéma aussi passionnant que risqué. Gérard Lanvin en vieux beau volage, c’était déjà l’idée d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri dans Le Goût des autres dans le prolongement de ses rôles de jeune premier des années 1970 et 1980. Ici, on le fait plus benêt que séduisant et on nous inflige la gloire télévisuelle passée du personnage (hommage à notre défunte télévision publique ?) avec une émission intitulée le « lapin hors du chapeau ». Et c’est pourtant la vision du générique final qui devrait soutenir l’émotion filiale du fils prodige pour son saltimbanque de père ! N’est pas Pedro Almodóvar qui veut pour recomposer des pastiches d’émissions télévisées ou simplement introduire un roman familial aussi extraordinaire qu’émouvant… Miou-Miou, toujours discrète et désormais vieillissante, s’efface derrière un rôle des plus ennuyeux. Le film exploite également l’aura de Catherine Deneuve qui reprend (avec un plaisir évident) son rôle moderne de belle mère « dans le vent » et sans gênes, type Palais royal !, dans le sillon de l’incursion comique de Belle-Maman. Son personnage endosse l’origine sexuelle et commerciale de la femme fatale traditionnelle du cinéma, ou plus littéralement une vraie « Salope à elle toute seule » au temps de ses 343 homonymes militants. On imagine aisément le prestige d’une telle réplique pour son « génial » inventeur qui a dû longtemps rêver à l’idée de la mettre dans la bouche de l’une des signataires.
Le show du Perroquet bleu est le prétexte du film qui commence dans ses coulisses remplies de jeunes filles dévêtues louchant du côté des beautés aquatiques des Bathing Beauties. L’entrée en scène d’Emmanuelle Béart met en avant au cœur de la revue une chanteuse plantureuse mais sans voix que la version de « Ma rose » enregistrée par Géraldine Pailhas finit de décrédibiliser. Si l’actrice incarne à satiété la fragilité et la beauté plastique, elle se noie ici dans ses vocalises. L’association d’un type à un acteur populaire est une stratégie efficace (et parfois jouissive) du cinéma grand public, encore faut-il aussi mettre en scène les talents annexes qui sont échus à chacun des personnages de cabaret. C’étaient, en leur temps, la voix nasillarde et précieuse de Michel Simon face à la gouaille pimpante d’Arletty dans le final de Circonstances atténuantes de Jean Boyer ou le résultat triomphant de la direction d’acteur de François Ozon dans 8 femmes. Quant à Claude Brasseur, on plonge pudiquement le travestissement de son personnage et sa fameuse garde robe dans l’obscurité. Il y a apparemment des rôles que la vieillesse rend plus difficile à montrer.
Finalement, on ne retient de ce déluge de numéros individuels sans cohérence que la coquetterie des visages de nos chères actrices : le regard de biche de Deneuve, la bouche pulpeuse de Béart et les petits yeux ronds de Miou-Miou. Et de ceux qui leur donnent la réplique : les yeux plissés de Brasseur, les tempes grisonnantes de Lanvin et le sourire affable du charmant Michaël Cohen qu’un autre réalisateur devrait peut-être un jour sauver du naufrage menaçant… Si l’adage veut que le « Show must go on », la mise en scène soutient surtout une nostalgie impalpable, prétexte au cabotinage et caricature de spectacle. Les hasards de calendrier lui opposent la tendre mélancolie, la solidarité des artistes, et la simple sincérité du Last Show de Robert Altman.