On plonge avec The Last Show dans les coulisses d’une émission radiophonique enregistrée en public… aux côtés notamment de Meryl Streep qui arrive, impériale, fascinante, par un long travelling arrière, au milieu du remue-ménage des préparatifs. Il y a dans le film d’Altman un double parfum d’enchantement et de désenchantement. Une petite communauté d’archaïques délurés vivote sur le rêve du radio-crochet… mais l’émission, dont le début remonte à la nuit des temps, émet en direct pour la dernière fois ; l’«exécuteur » texan (Tommy Lee Jones), venu assister au susdit show en carnassier, veut faire place nette.
Comment définir cet humour si particulier qui caractérise le film d’Altman ? Ici, les fausses pubs chantées entre les morceaux – pour les « bis-cuits-Pow-der-milk » –, les interventions burlesques de Kevin Kline en Bogart-clown blanc (il s’appelle Guy Noir), les blagues vaseuses de Dusty et Lefty, l’accouchement simulé de la régisseuse entretiennent un climat de drôlerie et de dérapages constants. Kevin Kline à la régisseuse (l’actrice était réellement enceinte) : « Tu es grosse ! Il faudrait y aller mollo sur les desserts et la bière et surtout avec les hommes ! » C’est cela, il y a ici à la fois de la dérision et de la tendresse dans l’humour du maître : rire de ses personnages, comme par exemple de Woody, c’est déjà se mettre à les aimer. L’humour d’Altman n’est pas correctif ou exclusif, ni même corrosif comme par exemple dans MASH (sur la guerre de Corée, donc en filigrane sur le Viêt-Nam – nous sommes au début des Seventies) mais de connivence, intégrateur.
Une chose est sûre, The Last Show est un film très altmanien. En particulier, le film revient sur beaucoup des thématiques de Nashville, qui multipliait les portraits et les concerts dans la capitale mondiale de la musique country. Trente ans après, la country revient sur la scène du Fitzgerald Theater de Saint-Paul (Minnesota), où a été intégralement tourné The Last Show. Et les costumes sont à l’avenant : bottes, boucles, Stetsons, jupes de french-cancan. D’Altman on retrouve aussi cette construction narrative si singulière, organisée autour de l’exploration d’un lieu névralgique (Nashville dans Nashville, Los Angeles dans Short Cuts, Paris dans Prêt-à-Porter, le château britannique de Gosford Park) : dans The Last Show, entre les coulisses et la scène, le va-et-vient incessant des personnages forme une sorte de récit déambulatoire.
Quant aux dialogues, ils sont, comme de coutume, improvisés, superposés et logorrhéiques. La palme, s’il faut en décerner une, doit revenir aux Johnson Sisters, Yolanda (Meryl Streep) et Rhonda (Lily Tomlin) pimpantes nostalgiques et radoteuses invétérées, spécialistes de la tarte à la rhubarbe, dont la vie imprègne les chansons et réciproquement, sans qu’on ne sache plus ce qui est de l’ordre de la scène ou du vécu. Elles chantent pour leur mère, qui « leur a transmis l’amour de la musique ». Un des clous du film consiste justement dans une scène d’improvisation (elle-même improvisée ? sans doute) pour combler un trou dans le show. À partir d’un ruban adhésif et sur fond de bruitages, voilà un orang-outan, un paon, un hélicoptère, un vol d’oies sauvages qui défilent. Et c’est un nouveau délire contrôlé et sonore. Il faut dire que le public de l’émission a été au tournage un véritable public : le film a donc été construit comme un show authentique. Cela donne naturellement une texture presque documentaire au film, et chaque séquence est conçue comme une performance à part entière. Pourquoi ? Parce qu’il y a chez le réalisateur un plaisir revendiqué de l’imprévu, que celui-ci vienne du jeu, du son, de l’image, ou des histoires qui se construisent et s’entrecroisent de façon presque autonome.
Comme flottante, sans cesse mobile, la caméra est toute en recadrages et décadrages, épouse les contours des personnages, vient chercher leurs visages, suit leurs pérégrinations. Son mouvement s’inscrit dans une double dimension, il est à la fois perpétuel – indice d’un furetage, d’une trépidation continue ; et lent – la caméra évolue dans une sorte d’aquarium (« On se croirait au zoo » lâche l’exécuteur derrière sa vitre) ou de sarcophage dans lequel plane le pressentiment de la fin. Impassible, le présentateur de l’émission, refuse tout chantage à l’émotion. On n’annonce pas l’arrêt du show, on ne rend pas hommage au chanteur qui vient de trépasser : « C’est pour ça que ça n’a pas duré entre nous, lui confie Meryl Streep. Je savais que tu ne pleurerais pas quand je romprais. » Il a de fait l’élégance du dinosaure, mélange le standing et la discrétion. Or, il faut bien préciser que ce maître de cérémonie, G.K., est joué par le scénariste même du film, Garrison Keillor… et que l’émission radiophonique dont il est question existe bel et bien, puisqu’elle a été créée par ce même Garrison Keillor en 1974, diffusée avec un énorme succès (35 millions de foyers à travers le monde, dixit le dossier de presse) pendant plus de trente ans et qu’elle s’appelle A Prairie Home Companion (tiens, c’est justement le sous-titre du film). Le jeu de mises en abyme et de tiroirs last show/dernier film, chansons/vécu, théâtre/plateau, etc. ne cesse donc, autour de cette gageure qu’il y a à vouloir filmer une émission de radio, de se multiplier.
Altman égrène dans son travail quelques motifs empreints de nostalgie : un fantôme blond en trench-coat, type Lauren Bacall échappée d’un vieux polar pluvieux ; des vitrines de bar à la Hopper ; le buste de l’auteur de Gatsby le magnifique. Smokings rétro, micro de milieu de siècle et décor désuet, eux, vont devoir s’effacer. C’est au moment du déclin qu’on peut se retourner sur ce qui a été accompli, commencer à vivre dans le passé et le rêve. Oui, on sort de ce last show mélancolique, c’est-à-dire à la fois ému, pensif et heureux.