Thierry Klifa aime les actrices, des plus légendaires à celles qui semblent toutes désignées pour reprendre le flambeau d’une forme de glamour à la fois accessible et contemporain. Dans sa filmographie, Catherine Deneuve est la reine incontestée (ils ont tourné trois films ensemble, dont celui-ci), enrichissant de son aura des œuvres pas révolutionnaires, mais soucieuses de maintenir une forme de cinéma à la fois populaire et prestigieux, avec un goût prononcé pour les mélos familiaux. On saura gré à Klifa d’essayer, avec Tout nous sépare, de s’éloigner un peu plus du drame bourgeois et de s’intéresser à d’autres milieux. Ce mélo-là est ambitieux : en opposant, sur fond de relation aussi passionnelle que vénéneuse, deux mondes que tout oppose – une riche famille d’industriels vs des petits caïds de cité, autour de Sète – Klifa tente de brasser plusieurs genres, de la chronique sociale au polar très noir en passant par le drame intimiste.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la mayonnaise ne prend pas. Tout nous sépare enchaîne les clichés comme des perles, avec un sens consommé du ridicule que des dialogues involontairement drôles entretiennent jusqu’au bout. Il y avait pourtant de beaux potentiels dans l’histoire de Louise, une riche veuve (Deneuve) qui tente de sauver sa fille (Kruger) des griffes de Rodolph, une petite frappe (Duvauchelle), à la fois dealer et amant dont l’emprise sur elle finit par trouver une issue tragique. Lorsqu’un ami de Rodolph, Ben (le rappeur Nekfeu) entreprend de faire chanter Louise, une étrange relation se noue entre ces deux personnalités diamétralement opposées, faite d’appréhension, de provocation et même d’affection…
Nanar sous le soleil
Difficile de dire ce qu’il y a de pire ici : la représentation (in- ?)volontairement au ras des pâquerettes des banlieues et de ses petits trafiquants, qui tutoient et rudoient les vieilles bourgeoises, brutalisent leurs maîtresses et ne voient pas plus loin que leurs petits trafics minables ? Le décor sétois, utilisé ici pour son folklore (le soleil, la mer, les docks) sans que jamais Klifa cherche à en faire un élément du récit (jusqu’aux personnages dont aucun n’a l’accent du sud) ? L’ébauche de relation entre Louise et Ben, à laquelle on ne croit jamais tant le scénario les fait passer, parfois dans la même scène, de l’insulte et l’intimidation à une complicité totalement artificielle ? La tentative d’ébaucher une histoire d’amour filial et platonique sur fond de lutte des classes, qui ne décolle jamais des stéréotypes habituels ni parvenir à installer un quelconque trouble ? Ou encore, les personnages sacrifiés incarnés par Duvauchelle et Kruger, le premier réduit à n’être qu’un repoussoir tellement vulgaire et monstrueux que la fascination qu’il exerce perd toute crédibilité, la seconde résumée à une junkie dont le tempérament masochiste, pourtant a priori fascinant, n’est jamais exploité (pas plus que le handicap dont elle souffre) ?
Le film traîne tellement de casseroles qu’il gagne presque, dans certaines scènes, une force comique que seuls les grands nanars réussissent à atteindre. Ici, la mort d’un des personnages principaux dans le premier tiers du film, qui n’aura rien à envier à la fameuse performance, tant décriée, de Marion Cotillard dans The Dark Knight Rises. Là, une scène d’assaut nocturne dans une demeure bourgeoise qui voit se transformer Deneuve en reine de l’auto-défense. De ce naufrage, pas grand-chose ne surnage, et surtout pas les acteurs : on en voudra surtout à Klifa de ridiculiser ainsi la grande Catherine (qui ferait bien d’un peu mieux choisir ses films, ces derniers temps…). Pour son premier rôle au cinéma, le pauvre Nekfeu fait ce qu’il peut et plutôt bien, ce qui relève presque du miracle vu ce que le film lui donne à jouer. Souhaitons-lui que cet improbable baptême de cinéma ne l’empêche pas de poursuivre sa carrière sous des cieux plus cléments.