Pour sa deuxième adaptation de Gaston Leroux, Bruno Podalydès s’enhardit. S’il poursuit la peinture d’un monde loufoque esquissée dans Le Mystère de la chambre jaune, cette fois il s’emporte et égare le spectateur.
Après les péripéties de la Chambre jaune et la mort de leur ennemi juré Ballmeyer, la belle Mathilde Stangerson peut enfin épouser Robert Darzac. Ils s’offrent au bonheur dans le château de leurs amis, Édith et Arthur Rance. Mais malheur ! la lugubre figure de Larsan, alias Ballmeyer, réapparaît. Rouletabille, le raisonneur surdoué, déboule, flanqué de son fidèle Sainclair. Parmi la joyeuse troupe en villégiature, ils partent sur la trace du dangereux transformiste.
C’est entendu : l’adaptation de l’écrit à l’écran est par essence une gageure. La littérature et le cinéma, s’ils ont pour point commun le récit, ont chacun leur langage. D’autre part, les contraintes de réception diffèrent entre le lecteur et le spectateur de cinéma. Un film se concentre sur deux heures, tandis que la lecture d’un livre peut s’étirer dans le temps. En bref, la schématisation est incontournable et l’abandon de certains passages du livre obligatoire.
Évitant une servitude indigeste, le scénariste-réalisateur Bruno Podalydès a donc habilement simplifié l’intrigue, s’est accommodé de l’âge de son comédien (Denis Podalydès, manifestement plus vieux qu’un Rouletabille censé atteindre tout juste ses 18 ans, est rajeuni par le détail subtil d’un pantalon trop court). Il sait également disposer de toutes les ressources du média cinéma. Par exemple le flash-back dans l’école primaire de Rouletabille coule très finement, grâce à sa maîtrise du champ-contrechamp. De même il se permet l’incrustation, dans un drap sur un fil à linge, du visage de chaque personnage. Moyen classique, purement filmique et très efficace pour éclaircir l’intrigue aux yeux du spectateur.
C’est également avec bonheur qu’il transforme le personnage du vieux Bob, l’oncle d’Edith Rance, en une sorte de savant fou à la place du fameux paléontologue du livre. Véritable Professeur Tournesol échappé de Tintin, il apporte au film une dose de loufoquerie totalement cohérente avec l’univers absurde construit par Podalydès. C’est que celui-ci donne la primeur au comique, à la farce, au bizarre de bric et de broc. Ainsi le personnage d’Édith, fantaisiste et survoltée, parfaitement campée par Zabou Breitman, ne manque jamais de lancer son leitmotiv, « À taaaaaable !!! », même dans les situations les plus tendues. Son mari, Arthur Rance, dont le portrait au mur évoque immédiatement celui du chevalier de Hadoque, illustre ancêtre du capitaine Haddock dans Le Secret de la Licorne, affectionne les jeux de mots lourdauds. La candeur de Sainclair (excellent Jean-Noël Brouté), fait merveille dans l’humour potache : coincé dans le sous-marin, il s’applique un masque sur la bouche et demande au vieux Bob « C’est pour respirer ? − Non, c’est l’urinoir », lui répond-il. Avec intelligence, Bruno Podalydès apprivoise donc le monde de Leroux pour le faire sien.
Dans cette optique, on peut encore accepter la mise au second plan de la problématique œdipienne de Rouletabille. En effet, Le Parfum de la dame en noir est édité en 1908, au même moment que les premières théories freudiennes sur la psychanalyse. Leroux illustrait donc, par le biais du roman policier (structure codifiée idéale pour porter un propos sur le monde), les bouleversements intellectuels de son temps. À l’écran, le jeune reporter retrouve effectivement sa mère, à qui il porte un amour ambigu, et souhaite se débarrasser de son père. Mais en 2005, ce schéma est galvaudé, et Podalydès préfère s’attarder sur ce qui manifestement le préoccupe davantage : la fiction. De l’exergue emprunté à un prestidigitateur au générique centré sur un pommeau de canne dont l’ombre représente deux profils, de l’omniprésence de la peinture et de la sculpture au poisson fourré par la servante ostensiblement faux, tout converge vers un éloge de l’illusion, de la fiction, et partant, du cinéma.
Malheureusement, le réalisateur, dans son enthousiasme, se laisse dériver. Le jeu outré de Vincent Elbaz pour le rôle, déjà assez haut en couleur, du prince Galitch, est excessif. De même les personnages incarnés par Sabine Azéma et Pierre Arditi sont écrasés par leur acteur. Le spectateur ne voit pas la silhouette éthérée, mystérieuse et envoûtante de Mathilde Stangerson, mais une célèbre actrice du cinéma français jouant une figure éthérée, envoûtante etc… Un fait exprès ? Toujours est-il que Podalydès, emporté dans son élan méta-discursif, néglige le b.a.-ba : l’adhésion du spectateur. Que dire alors de l’invraisemblance, doublée d’un ton limite mauvais goût, de « la maison des jeunes-vieux », délire prétexte à montrer un peu de lubrique ?
Ainsi, les bons moments de cette fiction cohérente et drôle sont éclipsés par cet excès de zèle en forme de beau gâchis. C’est dommage, Podalydès a perdu « le bon bout de la raison ».