Alors que les adaptations de bandes dessinées enchaînent depuis quelque temps les déconvenues artistiques et commerciales (voir les échecs des récents Boule & Bill 2, Le Petit Spirou ou encore Gaston Lagaffe), le choix de Bruno Podalydès de s’attaquer à l’univers de Bécassine (fruit de l’imagination de l’écrivaine Jacqueline Rivière et du dessinateur Émile-Joseph Porphyre Pinchon, publié pour la première fois en 1905) avait de quoi intriguer. Au-delà du potentiel commercial pas forcément évident d’un tel projet, il n’est pas nécessaire d’aller chercher bien loin les accointances possibles entre les caractéristiques du cinéma du réalisateur de Dieu seul me voit et l’univers de ce personnage fictif reconnaissable entre mille grâce à son costume vert : entre cette dernière et les héros des récents Comme un avion (2015) et Adieu Berthe (2012), on retrouve la même propension à la flânerie, au goût pour les chemins de traverse, au désir de revenir à l’essence d’un émerveillement naïf mais ouvert au monde. Cette douceur du regard dépourvu de tout cynisme – l’efficacité du récit n’est jamais une fin en soi – donne à ce Bécassine un caractère parfois un peu flottant et inconsistant, jouant sur plusieurs tableaux (l’hommage à la bande-dessinée, au cartoon, l’évocation mélancolique d’un terrain de jeu lié à l’enfance) sans jamais vraiment s’affirmer dans aucun d’entre eux. Mais la discrète beauté du film est à trouver ailleurs : dans les recoins du cadre et les frêles horizons qu’ils dessinent ou encore dans son goût modeste pour l’artifice.
Les sentiers battus
Le récit commence par l’enfance de Bécassine, élevée par un couple de paysans rustres dont le manque de fantaisie est heureusement compensée par l’oncle Corentin. Pas forcément la plus réussie, cette première partie se limite un peu trop à surjouer le pittoresque du cadre (le peuple est bête et crasseux, à l’image de la méchante Marie Quillouch interprétée avec une certaine malice par Vimala Pons) et à enchaîner des gags poussifs provoqués par les maladresses à répétition ou l’impossible second degré de la protagoniste. À partir du moment où celle-ci, devenue adulte, fait ses valises dans le but de partir vivre à Paris (objectif qui ne restera qu’un mirage symbolisé par une route de campagne au bout de laquelle la Tour Eiffel apparaît, un prétexte à faire sortir la jeune femme de son environnement étouffant et sans perspective), le film élargit avec elle son horizon. Si, rapidement, le récit opère un changement pour un autre lieu clos (la grande demeure de la Marquise des Grands Airs qui l’accueille chez elle après avoir été séduite par la capacité de Bécassine à répondre à tous ses tracas), les interactions entre les différents personnages s’en retrouvent sensiblement modifiées : dans cet endroit où le factice est plus que jamais signifiant – la ruine à venir symbolisée par la lente désintégration des objets de valeur, les décors artificiels dans lesquels se projette l’héroïne pour répondre à ses rêves de grande ville –, chaque personnage adopte une posture qui lui est propre en apparence. Mais plutôt que de se gargariser d’une sur-caractérisation qui verserait rapidement dans la caricature, le réalisateur s’amuse à guetter en chacun d’eux le petit grain de folie susceptible de faire dérailler la machine.
Fantasme d’enfant
À l’image de la Marquise, séduite par un marionnettiste (joué par le réalisateur lui-même) aux allures d’escroc alors que le pragmatique mais bien ennuyeux M. Proey-Minans tente désespérément sa chance, Bécassine vient trouver son cœur dans cette croyance qui consiste à faire fi du bon sens pour n’écouter que ce que l’appétence pour l’émerveillement dicte. Si l’enjeu général est volontairement mince et pourra rebuter un public avide de rebondissements rocambolesques (le relatif suspense est cousu de fil blanc, les menaces trop circonscrites pour risquer de contaminer le récit), chaque personnage aura néanmoins pu faire l’expérience d’une vie transformée en terrain de jeu où les faux-semblants font légion. Deux scènes illustrent joliment cet humble manifeste : tout d’abord, lorsque le public se laisse séduire par un petit spectacle de marionnettes – dont les ressors comiques sont finalement assez triviaux – ou quand toute la maisonnée s’attèle à faire croire à coups de silhouettes en bois et de conversations préenregistrées qu’une réception a lieu dans le château pour retrouver la confiance des créanciers. Si l’ensemble aurait certainement gagné à être plus ténu dans l’écriture et plus aventureux dans la mise en scène, Bruno Podalydès parvient à prendre le contre-pied de tous les pièges qui lui étaient tendus : certes, il y a fort à parier que Bécassine ne marquera probablement pas les esprits mais le charme et la cohérence qui s’en dégagent rendent le résultat estimable. Et le plaisir du réalisateur à nous replonger dans les figures de son enfance est tellement manifeste qu’on ne peut qu’aborder son film, au pire sous un œil indifférent, au mieux avec bienveillance.