Parmi les règles établies par la firme Lego pour son univers cinématographique (quoiqu’enfreinte dans Lego Batman, le film), il y a l’interactivité épisodique entre le monde « réel » des joueurs de chair et de sang et le monde imaginaire des briques de plastique détachables, laquelle se traduit par l’intromission de scènes en prises de vues réelles dans le récit en images de synthèse. Dans Lego Ninjago, le film, cela donne lieu, au milieu du métrage, à une apparition aussi impromptue que réjouissante qui lui offre sans conteste son meilleur moment : un rappel que dans la rencontre entre le jouet — même animé — et le vivant, l’un reste fatalement plus fragile que l’autre auquel il sert d’exutoire parfois malheureux, surtout au plus jeune âge qui se rappellera au bon souvenir du spectateur. Cette intrusion s’avère aussi, dans le cas de ce « Lego Movie », sa façon la plus inspirée d’exploiter la nature de jouet de son matériau, en dehors des quelques gags désormais convenus d’emboîtements et de déboîtements (Lego Batman, le film et avant lui La Grande Aventure Lego sont passés par là) et des placements de logo de la marque relevant plus du réflexe que de la publicité volontaire. On n’en regrette que plus amèrement qu’une telle inspiration ne souffle pas sur le reste du métrage, plombé par une déprimante routine qui ne lui est même pas propre.
Le générique peut-il casser des briques ?
Adaptation d’une série déjà déclinée en boîtes de construction et à la télévision, Lego Ninjago, le film compile en design futuriste les clichés de divers genres audiovisuels venus un peu de Chine et beaucoup du Japon : films de sabre, kaiju eiga (l’apparition évoquée plus haut renvoie explicitement à Gothra), séries sentai et mecha. Malheureusement, tout espoir que ces sources inspirent ce « Lego Movie » de façon positive sera vain : mis en images avec cette truelle familière des pires blockbusters hollywoodiens, le résultat synthétique a moins à voir avec l’hommage sincère et concerné qu’a su être Pacific Rim de Del Toro qu’à un Transformers qui aurait été exécuté par un sous-Michael Bay, où tout enjeu d’action n’est résolu que dans une bouillie visuelle informe. Une telle absence de singularité martèle le caractère totalement dérivé du film qui, de son introduction de cliché (aussi en prises de vies réelles, avec Jackie Chan en Monsieur Loyal) à ses citations en cascade en passant par sa charte visuelle poussive, mange à tous les râteliers pour, à l’arrivée, ne rien concrétiser qui puisse le définir en propre. Même le scénario, dont la seule prémisse fait craindre le pire (un adolescent de la cité de Ninjago, où tout le monde ignore qu’il est un héros protecteur de la ville mais sait qu’il est le fils de l’ennemi public n°1, se trouve en manque de père), ressemble à un fond de tiroir des récits faussement cool et sournoisement conformistes de chez DreamWorks, défauts auxquels il n’échappe in extremis que par l’inconsistance de ses revirements.
Pièces rapportées
L’échec, en particulier, à s’inspirer du caractère chorégraphié de certaines de ses sources pour en tirer une tenue cinématographique pose sèchement la question des limites du « cinéma Lego ». On avait d’ores et déjà conscience de la gageure de porter à l’écran des jouets qui, contrairement à des robots transformables ou même à des poupées, passent moins facilement pour des personnages et des décors que pour ce qu’ils sont : des créations artificielles en kit sur lesquelles on a peint du factice pour les rapprocher grossièrement du réel. De ces caractéristiques physiques, les longs-métrages tirent pour l’heure chichement parti : en dehors de coups d’éclat momentanés comme celui évoqué plus haut et de détails esthétiques devenus génériques (emboîtements, déboîtements, dégradations par détachements de pièces), les « Lego Movies » s’occupent surtout de porter la rigidité de leurs traits et de leurs contours à travers une technique qui ne se démarque guère du tout-venant du cinéma d’animation à gros budget. S’ils tâchent de donner le change, c’est avant tout dans leur sous-texte, opportunément humoristique et « méta » (la confrontation avec le réel, ou encore les blagues sur les mains sans doigts des figurines). Or sur ce plan-là aussi, la franchise semble tomber à sec d’inspiration. La Grande Aventure Lego allégorisait sous forme de dystopie comique le statut de la pièce de construction en quête d’individualité dans l’ensemble construit et uniformisant. Lego Batman, le film, en draguant des icônes geek extérieures à la marque, prétendait à des horizons moins Lego-centrés et plus généralistes, jouant dans la cour d’autres franchises à blockbusters, quitte à se soumettre aux conventions de ces dernières et à y perdre un peu de l’intérêt qui sous-tendait la démarche d’origine. Lego Ninjago, le film marque non seulement un nouveau pas dans cette direction, mais aussi une forme de dégénérescence sur le chemin, faisant craindre une imminente pénurie de matériaux.