Le risque d’une suite ou d’une franchise, est souvent de s’enfermer dans une formule recyclée. Producteurs, réalisateur et scénaristes semblaient absolument vouloir éviter cela, et après l’excellent Lego Movie, le renouvellement paraissait difficile tant cet épisode mettait la barre haute. Les choix opérés dans Lego Batman, ainsi que les intentions, posent en revanche question. Entre prise plus « au sérieux » (c’est à relativiser) de son récit, et emploi de ressorts dramatiques similaires au premier film — la nécessité du travail en équipe, sans la dimension politique — ce second opus donne un sentiment très mitigé.
D’une lutte des classes aux démons intérieurs
Le mal d’Emmet, héros du premier épisode, était de ne pas être un individu exceptionnel et unique, s’intégrant sans le vouloir à une masse contrôlée. Le mal de Batman, au contraire, est son extrême individualisme. Même si les deux films rejoignent la même conclusion, que le collectif est plus fort que l’individu, la dimension morale est cependant beaucoup plus exacerbée dans Lego Batman. Dans Lego Movie, cette conclusion permettait de pointer du doigt la dictature par la consommation (thème pasolinien par excellence, osé pour un blockbuster et pour une marque déposée aussi puissante que Lego®), tandis que Lego Batman sombre dans un sentimentalisme un peu mièvre sur le besoin de famille. De ce fait, le film n’a d’autres possibilités que d’exhiber lieux communs et clichés de solitude, ne traitant pas d’un Batman réduit à sa dimension Lego (c’est-à-dire une marionnette aux mains d’un enfant), mais d’une autre facette du personnage, tirée vers le grotesque (arrogance, suffisance, invincibilité, etc.).
Consommation
Alors que Lego Movie adaptait astucieusement son placement de produit à une réflexion sur le libre arbitre et la consommation, Lego Batman semble quant à lui occupé à satisfaire le fan-service, et donc à célébrer cette boulimie des images et des icônes. Empilant les gags de mise à distance du spectateur (par exemple le générique commenté en voix-off, ou encore les extraits des autres films Batman — moquant leur différent traitement esthétique, le kitsch de Schumacher notamment ou la solennité de Nolan), le film surfe sur la tendance postmoderne actuelle à « abattre le quatrième mur ». Sauf que cette mise à mal de la transparence narrative ne renvoie pas, comme dans Lego Movie à une métaphysique loufoque et intra-diégétique (le monde et l’histoire à laquelle on assiste sont en fait contrôlés par des humains) mais au réel, aux coulisses de la production cinématographique.
Le placement de produit atteint alors un degré supérieur, ne se limitant plus aux Lego mais à un étalage cinématographique qui frise le catalogue geek. Le jeu de réflexivité révèle alors toute la puérilité de l’entreprise : ce n’est pas en montrant qu’on fait un film que l’on va forcément se rendre iconoclaste et original (ce dont s’illusionnait d’ailleurs Deadpool par exemple, comblant son scenario finalement conventionnel par un jeu de mise à distance).
Reste un joyeux foutoir où la question de la destruction n’est plus centrale, mais anecdotique (comme le confirme la compagnie de l’avion « Air MacGuffin » qui transporte la bombe). Le film alterne efficacement frénésie du mouvement et véritables pauses pathétiques (voir la savoureuse séquence du début où Batman « brise le cœur » du Joker) grâce au sens du rythme de Chris McKay, monteur de l’ancien opus. Cette dimension émotionnelle montre que ce nouvel épisode cherche en partie à se libérer de l’entrave humaine du Lego Movie, pour exister par lui-même — en partie seulement, puisque les bruitages sont fait à la bouche, comme dans un jeu. Contrairement à Lego Movie, Lego Batman ne met pas en scène un jeu d’enfant, mais un spectacle un peu enfantin.