Il y avait de quoi se méfier de la sortie sur grand écran d’un film d’animation entièrement à la gloire d’une célèbre marque de jouets, surclassant ainsi tout ce qui avait pu être fait auparavant en termes de placement de produits. Probablement parce l’entreprise Lego savait qu’on allait l’attendre au tournant, les scénaristes et les réalisateurs se sont pliés très volontairement à l’exercice d’un didactisme doublé d’un discours citoyen aux résonances politiques plutôt bien senties. Pour cela, les créateurs sont partis de la contrainte suivante : comment faire exister des figurines aux gestes et expressions limités quand, dans l’univers Lego, c’est le décor et la liberté de construire (et de détruire) qui priment sur tout le reste ? En jouant justement sur cette double échelle entre l’individu, condamné à une certaine forme d’anonymat, et le collectif œuvrant pour sa propre hiérarchisation dans un environnement hyper-contrôlé.
Qu’est-ce que la démocratie ?
Très certainement influencée par la philosophie Pixar, La Grande Aventure Lego semble vouloir transmettre des valeurs progressistes aux jeunes enfants venus vivre sur grand écran ce qu’ils s’amusent à créer dans leur chambre. Le récit d’aventure est ici doublé d’une prise de conscience, celle d’être privé d’un libre arbitre et de se soumettre systématiquement à une autorité suprême. Il faut voir avec quel humour grinçant le film dépeint le quotidien de son héros, entre émissions de télévision abrutissant les consciences et optimisme béat chanté à tout bout de champ pour dissimuler les dérives d’un régime autoritaire. Ici, ce sont donc les dissidents qui sauvent le monde en abattant les frontières imposées arbitrairement entre les différents univers Lego (une manière plutôt habile pour la marque de décliner ses gammes de produits). La parfaite cohérence de l’ensemble interroge cependant : faut-il se laisser conter pareilles histoires par un géant de l’industrie qui a tout à gagner à vendre ses produits ?
Le plaisir de l’invraisemblance
La réussite du projet tient probablement du fait que les réalisateurs ont su parfaitement retranscrire un plaisir du jeu qui fait fi de toute vraisemblance. Si on ne retrouve bien évidemment pas la mélancolie bouleversante d’un Toy Story 3 puisqu’il n’est ici jamais question de deuil, La Grande Aventure Lego tire le bénéfice de sa profusion d’idées quasi anarchiques et de sa juxtaposition d’univers pop qui ne sont pas loin de rappeler les grandes heures de Shrek. Ici, seule compte l’imagination dès lors qu’elle est mise au service de la transgression et du désordre. Et même si le parallèle avec le père et le fils autour des choix politiques à mener pour régir la cité frôle parfois le sentimentalisme explicatif, la firme Lego a pour ainsi dire tout compris en empruntant les chemins de traverse pour assurer sa propre promotion. Forte de ce succès, la marque a déjà entamé la production d’une suite. Reste à savoir jusqu’où l’illusion perdurera.