Les bonnes intentions ne font pas forcément les bons films. En témoigne ce second long-métrage d’Ismaël Ferroukhi, après Le Grand Voyage, qui revient sur un épisode peu connu de la Résistance française. Seulement, la faiblesse du scénario et la mollesse de la mise en scène sabrent l’ambition humaniste du projet. Dommage pour Tahar Rahim qui offre ici une composition subtile, toute en retenue. C’est dire si le film ne le mérite pas.
Depuis que le gouvernement français s’est empêtré dans un débat sur l’identité nationale au risque de nourrir toutes les dérives xénophobes, il semblerait que bon nombre de productions cinématographiques françaises aient choisi d’investir le terrain, tenues par cet espoir que l’émotion et la pédagogie pourraient faire bon ménage et réveiller les consciences endolories par les discours stigmatisants et individualistes. Malheureusement, du côté des œuvres grand public, le propos ne convainc que trop rarement : si Philippe Lioret avait fait preuve d’un peu plus de tenue que ses confrères dans Welcome, mieux vaut passer sur les égarements démagogiques de Rachid Bouchareb, même si on sait qu’Indigènes, par exemple, a réussi à s’inviter dans le débat politique tout en étant un très mauvais film. Le paradoxe apparaît alors presque nécessaire, comme si la clarté du message politique ne pouvait aller de pair qu’avec une simplification à outrance des enjeux dramaturgiques – et donc historiques –, puis une mise en image totalement impersonnelle. C’est bien malheureusement le travers qui guette ici Ismaël Ferroukhi lorsqu’il décide de s’attaquer à une partie méconnue de l’histoire de France : pendant l’Occupation allemande, le recteur de la Mosquée de Paris s’employait à protéger les Juifs en les faisant passer pour musulmans auprès des autorités collaborationnistes.
Le cocktail de valeurs induit par cet épisode tombe à point nommé pour célébrer dans la France de 2011 la fraternité des peuples et nourrir les débats sur notre soi-disant volonté de définir à tout prix ce qu’est un Français. De plus, le film rappelle combien les Juifs et les Musulmans se sont soutenus et accompagnés dans cette épreuve, ce qui devrait certainement engager les spectateurs à réfléchir sur l’absurdité absolue des conflits religieux persistants. Mais voilà, il ne suffit pas de poser naïvement des questions pour que de troublantes réponses germent dans l’esprit du spectateur, surtout lorsque le film se contente d’être une mise en images sans véritablement point de vue. De cette période de l’histoire, Les Hommes libres ne garde que les grandes lignes, ponctuant le récit de scènes-clés sans envergure, au risque, bizarrement, d’en faire – pour reprendre une formule bien malheureuse – des « détails de l’histoire » : la rafle, le marché noir, la clandestinité, etc. Le réalisateur semble un peu effrayé par son sujet et donne l’impression de vouloir l’édulcorer au maximum : exit la violence, la torture, la barbarie et la gratuité des exécutions ou des arrestations. Tout cela restera soigneusement à l’écart du film, à peine suggéré par un hors champ dépourvu de toute force évocatrice, donnant le sentiment assez inconfortable que l’Occupation n’était pas « particulièrement inhumaine », pour reprendre une nouvelle fois des termes totalement condamnables employés de manière décomplexée par l’un de nos politiques.
Quand d’autres réalisateurs savent s’accommoder de budgets ridicules pour penser leur mise en espace et ainsi s’attaquer avec une certaine acuité à des pans de l’histoire, Ismael Ferroukhi, par manque évident de talent, laisse éclater le manque flagrant de moyens financiers de son film. Par exemple, pourquoi vouloir reconstituer la libération de Paris lorsqu’on dispose de trois voitures et de vingt-cinq figurants ? L’échec du film est d’autant plus regrettable que le casting principal dépasse largement les attentes qu’on aurait pu avoir. Si Michael Lonsdale fait exactement ce qu’on peut attendre de lui après son passage remarqué dans Des hommes et des dieux, Tahar Rahim, après le sacre mérité que lui a valu Un prophète, prouve qu’il est bel et bien un acteur intense et subtil, capable de communiquer une belle palette d’émotions par la seule inscription de son corps dans les plans (souvent bien laids) du film. Il donne à son personnage une complexité et un trouble que le réalisateur est totalement incapable d’insuffler dans la majeure partie de ses scènes. C’est bien là la seule qualité de ce film désespérément inoffensif alors que le sujet traité ne permettait pas un tel qualificatif.