Emplois délocalisés, lycée défraîchi, jeunes dépourvus d’horizon : impossible d’évacuer le décor socio-économique des Jours d’avant, même avec la situation initiale de SuperGrave. Djaber et son camarade du lycée ont pour une fois l’occasion de s’incruster à une fête, et ne vont pas se priver. La troisième réalisation de Karim Moussaoui n’évoque que de façon imprécise la guerre civile algérienne, en 1994 : quelques informations, parcellaires, et des événements, isolés, laissent le spectateur avec la même vision des événements politiques que les adolescents au centre du film. Cette alliance d’un contexte dramatique à d’un enjeu anodin participe à la création des individualités au sein du moyen-métrage. Le diptyque utilisé dans Les Jours d’avant confronte ainsi l’existence de Djaber, faite d’impatience, d’ennui et de divagations, à celle de Yamina, remarquée par le premier, et leurs attentes de la fête. Selon des perceptions radicalement différentes : peu de temps après le spectacle d’une exécution en pleine rue, Djaber admet ne pas se soucier des répercussions. Pour Yamina, dont le père est policier, c’est l’espace de liberté, et bientôt celui du cadre, qui se restreint après les manifestations du conflit. De son point de vue, l’attente de la fête s’approche plus de l’appréhension, et le moyen-métrage parvient adroitement à installer en quelques scènes familiales un contexte plus pesant. Quand un long-métrage aurait pu s’appesantir sur cet aspect, le format ramassé du moyen-métrage (47 minutes) donne un équilibre efficace aux parcours des protagonistes.
Rendez-vous manqué
Le recours au diptyque, en traçant deux routes parallèles successives, fait attendre le moment où elles pourraient se rencontrer. Et surtout ici, où la même scène filmée depuis des angles différents signifierait aussi le rendez-vous attendu des deux adolescents. Les Jours d’avant joue avec cette attente, où l’intersection peut signifier à la fois le télescopage et la réunion des personnages. Les moments communs sont ainsi habités d’une tension inattendue, que le scénario et la mise en scène entretiennent avec brio, notamment avec l’utilisation des différents plans de l’image.
Le seul dénominateur commun aux perspectives des deux personnages se retrouve dans le chant « Ah! Mio cor » de l’Alcina d’Haendel qui rythme leurs voix off. Cet air, particulièrement intime dans un opéra baroque, vient souligner les moments où les deux individus considèrent leur situation dans un ensemble, et non plus de leur seul point de vue. Mais, comme le déplore le chant, le recul obtenu sur les événements vient après les avoir déjà soufferts. Dans Alcina, les transformations constituent une sorte de fil rouge, et motivent même les relations entre personnages. Dans Les Jours d’avant, elles semblent toujours brutales, et surtout trop tardives. Même coiffé pour la fête, Djaber n’est jamais très loin du râteau. Il en va de même pour le contexte historique, oblitéré sans être évacué, qui viendra finalement s’imposer tant aux personnages qu’aux spectateurs.