Acteur-réalisateur assez typique de l’opposition culturelle et politique américaine lors des mandats Bush, George Clooney se range aujourd’hui du côté des déçus du parti démocrate et de son leader, Obama. Mêlant intrigues de campagne un peu molles aux débats sociétaux classiques outre-Atlantique (peine de mort, avortement), il délaisse et sa fantaisie et son amour du classicisme pour livrer une sorte de carnet de route politique assez dépressif et trop peu maîtrisé.
Disons-le tout de go, c’est davantage en terme de représentations politiques que d’objet cinématographique passionnant que ces « Ides of March » intéressent : le titre était accrocheur (visiblement trop précis pour les distributeurs français qui ont préféré un titre bien neutre), et l’on s’attendait davantage à un combat acharné entre César et Brutus qu’à un petit jeu intriguant entre Brutus et son valet. Clooney s’attaque donc à son propre camp, et met en scène la campagne des primaires démocrates. Première ombre au tableau : ne se focalisant réellement ni sur l’appareil de campagne, ni sur les constructions politiques internes, ni sur la réception des primaires, il est un peu partout et rapidement nulle part. Le film se concentre, malgré tout, sur l’équipe de communication, composée essentiellement d’un directeur de campagne aguerri, interprété par un Philip Seymour Hoffman un peu amorphe et de son assistant, un jeune loup à la barbe séductrice et aux dents longues. Mais ses dents, justement, ne sont pas assez longues, et, comme le film, pas antipathique au demeurant, elles manquent de mordant. L’intention est clairement critique, mais elle n’est pas assez virulente dans sa narration et son décor pour faire mouche, à l’image du chantage faiblard qui formera le nœud de l’intrigue.
Évidemment notre urgentiste grisonnant a du charisme : il s’est donné le rôle du candidat, Morris, dont l’intégrité est mise à mal par les calculs électoraux, le rôle du futur président libéral qui, dans l’intimité d’un cercle partisan, ne semble pas valoir beaucoup plus que ses congénères. Mais ce candidat, trop absent des scènes centrales, n’a que peu de chair. L’une des thématiques du film, et l’une des réussites de ce dernier, est, certes, le constant jeu d’équilibre entre la scène publique et les coulisses, entre le jeu et le débat, entre le pantin et ses marionnettistes, seul va-et-vient que Clooney parvient d’ailleurs à filmer. L’amplification de ce flou des frontières entre un débat public et sa répétition fictionnelle aurait probablement donné plus de matière à des Ides qui n’assassinent pas grand-monde. D’autant que la télévision, notamment grâce à la série The West Wing, avait plus que défricher le terrain de la communication présidentielle.
De la dépendance financière et électorale de Morris aux délégués à la décadence de l’oncle Sam, le récit se perd dans une nébuleuse d’anecdotes plus ou moins superficielles et de rôles peu convaincants — dont le jeune loup en question, Steven, interprété par Ryan Gosling, sorte de Jake Gyllenhaal ici un peu plus niais, et écrasé par son mentor. Quelques plans, quelques trouvailles sont bien présentes, comme la mise en espace ombrageuse des scènes de discours, mais l’ensemble est brouillon, mal digéré, mal monté. Une bonne partie du film se concentre ainsi sur des dialogues rarement approfondis, et rarement portés par l’écran : l’idée du duel permanent, entre le candidat et son conseiller, le conseiller et son assistant, l’assistant et sa petite amie, s’affadit systématiquement tant sa mise en perspective visuelle semble pataude et problématique pour le réalisateur. Celui-ci louche visiblement sur les drames politiques d’un Pakula, sur un fantasme cinématographique qu’il ne peut reproduire, faute d’écriture et de rythme. Il laisse le sentiment d’une sorte de déprime consécutive au départ de Bush et à la déception d’Obama, et développe ainsi la mollesse parfois douillette des opposants qui ne savent plus vraiment à quoi s’opposer.