Avec sa mosaïque d’acteurs en voie de vieillissement, liés par le ciment d’un tropisme commun pour le cinéma indépendant, The Monuments Men ressemble un peu à ce qui pourrait être le pendant intello des Expendables emmenés par Sylvester Stallone. Mais, bien à regret, cette réunion n’accouche de rien d’autre que de septuplés habiles à manier les petits rires complices et les froncement de sourcils consternés face au désastre dont ils sont parfois les spectateurs. Pour le reste, George Clooney noie les enjeux de son film (l’importance de la culture face à la barbarie et le rapport du cinéma avec les images emblématiques d’une civilisation) dans un bain d’indécisions qui font osciller son récit boiteux entre deux pôles frigides : un hommage mielleux aux hommes qui ont inspiré cet exposé historique moins fourni que le sommaire d’un manuel scolaire et l’occasion pour l’acteur-réalisateur-militant de prouver qu’à leur manière, les artistes peuvent aussi être les soldats du bien.
Le taxidermiste…
The Monuments Men ressort des archives de l’histoire un épisode peu connu de la Seconde Guerre mondiale : les aventures européennes d’un groupe de civils (conservateurs de musées, historiens de l’art, restaurateurs…) mandatés par Eisenhower pour reprendre aux nazis les œuvres d’art dérobées pendant le conflit. Drapé dans les atours d’une grosse production historique (reconstitution de Paris sous l’Occupation, scènes de combats dans des villes dévastées…), le cinquième film de George Clooney derrière la caméra avance cahin-caha, gêné par ses quelques plis narratifs et thématiques – pourtant peu nombreux.
Persuadé qu’il peut être simultanément un film de guerre animé par une noble cause et le portrait d’un groupe d’aimables gaillards échangeant des regards complices comme on se met des bonnes tapes viriles dans le dos, The Monuments Men finit pourtant par ressembler à la scène gaguesque où Matt Damon se retrouve pétrifié avec un pied sur une mine antipersonnel : sous le regard solidaire de ses compagnons, l’apprenti soldat respire un bon coup tandis que la pression monte pour, finalement, se dégager du piège au son d’un pétard mouillé inoffensif. Entre son insistante manière de répéter que ces hommes n’étaient pas des guerroyeurs professionnels et sa gestion malhabile des scènes d’actions (notamment, la piètre chorégraphie de John Goodman et Jean Dujardin prenant d’assaut une maison), le film en vient à se résumer essentiellement à une entreprise de taxidermie, empaillant tous les sept acteurs principaux dans leurs habitudes cabotines : Bill Murray et ses petits airs impertinents, Jean Dujardin tout en narines dilatées et sourires fats « à la OSS 117 », Bob Balaban en rongeur râleur et ainsi de suite…
… et l’antiquaire
Tout ces défauts pourraient n’être qu’anecdotiques si le film n’échouait pas à déployer sa véritable raison d’être : en réduisant la traque des œuvres d’art à une simple problématique matérielle (où sont-elles ? comment en faire l’inventaire ? comment les récupérer ?), George Clooney et sa troupe se transforment en brocanteurs de l’extrême, bravant le feu de l’ennemi avec, en toile de fond, un volontarisme passé de mode qui permettrait de faire, au passage, l’apologie d’une nation américaine prête à tout pour voler bénévolement au secours de sa grande sœur européenne.
Certes, The Monuments Men propose tout de même quelques saillies lyriques sur l’importance de sauver le patrimoine d’une civilisation sans quoi cette dernière serait irrémédiablement condamnée à se faner, mais ces instants avancent tellement sur les rails d’une naïveté émue qu’ils finissent par ne rien balbutier d’autre que : « l’art c’est important ». Il n’y a notamment rien de plus candide que le moment où Matt Damon raccroche un tableau dans un appartement parisien décati et déserté, avant qu’un contre-champ ne révèle un ignoble tag avec une étoile de David et un « Juden » mal griffonnés, soulignant ainsi toute la symbolique soi-disant compensatoire de ce geste auto-satisfait.
Curieusement, plus le film avance, plus l’on se surprend à repenser à La Route des Flandres de Claude Simon et cette réponse pessimiste de Georges à son père, consterné par la destruction d’une importante bibliothèque : « à quoi j’ai répondu par retour que si le contenu des milliers de bouquins de cette irremplaçable bibliothèque avait été précisément impuissant à empêcher que se produisent des choses comme le bombardement qui l’a détruite, je ne voyais pas très bien quelle perte représentait pour l’humanité la disparition sous les bombes au phosphore de ces milliers de bouquins et de papelards manifestement dépourvus de la moindre utilité. »