Les dernières images des Miens, sixième long-métrage de Roschdy Zem en tant que réalisateur, rappellent la façon dont s’achevait Drunk, le film de Thomas Vinterberg sorti en 2020. On y voit Moussa (Sami Bouajila) et son frère Ryad (Roschdy Zem) danser sur un air entraînant, bientôt rejoints par le reste de leur famille, avant qu’un brusque arrêt sur image ne fige le groupe dans l’expression d’une joie paroxystique. Au-delà du parallèle relativement anecdotique avec le saut final de Mads Mikkelsen, arrêté en plein vol à la fin de Drunk, Les Miens emprunte également au film de Vinterberg sa structure. D’abord en proposant le portrait d’un personnage masculin vieillissant, aliéné par le travail et une famille envahissante, puis en faisant intervenir un élément perturbateur (l’alcool dans Drunk, un trauma crânien ici) qui lui confère une forme de lucidité paradoxale : la perte de discernement sert de prétexte à l’irruption d’une sincérité presque primale, conçue comme la restauration d’une dignité perdue. Enfin, le scénario explore – assez laborieusement – les conséquences de l’accident en revisitant un à un les différents conflits qui émaillaient la première partie. Le film s’engage alors dans une trajectoire convenue de réparation des torts, entre grosses disputes, petites vengeances et grandes réconciliations.
Pour saisir pleinement ce qui anime le film, il faut encore mentionner la présence au générique de Maïwenn, actrice et surtout coscénariste des Miens, qui prête au film son goût pour les clans dysfonctionnels, les éclats de voix et une écriture mi-naïve mi-affectée – « j’ai envie que nos deux vies soient mélangées », explique Emma à son compagnon dans une réplique que l’on croirait tout droit sortie d’ADN, le dernier film de la réalisatrice. Les Miens s’ouvre d’ailleurs comme ce dernier film sur une grande réunion de famille, où chaque convive incarne une figure plus ou moins stéréotypée, du jeune platiste à la coqueluche des réseaux sociaux en passant par une fille matérialiste et manipulatrice, une sœur à l’empathie étouffante ou encore un frère nanti et déconnecté des siens. Sans surprise, il s’agira ensuite de passer les petits travers de cette galerie de personnage au crible de l’honnêteté sans filtre de Moussa.
Le baromètre
Envisagé sous l’angle de ces deux références – Vinterberg et Maïwenn –, Les Miens peut se concevoir comme l’énième produit d’un « cinéma-laboratoire » caractérisé à la fois par une méthode (l’étude d’un milieu confronté à un dérèglement) et un style (caméra à l’épaule, importance donnée à l’improvisation, refus de l’artifice, etc.). En ce sens, Roschdy Zem s’inscrit dans le sillage d’un cinéma d’auteur contemporain qui emprunte volontiers au naturalisme littéraire sa prédilection pour les protocoles d’expérimentation et les personnages-cobayes, tout en négligeant certaines de ses caractéristiques les plus passionnantes. L’exploration des marges, par exemple, est ici remplacée par la peinture d’une classe moyenne difficile à situer, et le réalisateur semble plus à l’aise pour définir son propre personnage, animateur sportif embourgeoisé, que celui de Moussa, petit employé anonyme aux ordres d’un patron caricatural.
Au milieu du film, un médecin invite Moussa à évaluer la tristesse qu’il ressent sur une échelle de 1 à 6. Plus tard, Moussa pose à son tour la question à Ryad et lui impose le même baromètre. C’est peut-être la véritable fonction de ce personnage – dont Roschdy Zem semble par ailleurs bien en peine de tirer un véritable effet comique ou une quelconque émotion : prendre la température d’une société morose, tout en dénonçant mollement ses dérives (un divorce par écran interposé, qualifié de « violence numérique virtuelle », par exemple). Entre le brouhaha du repas initial et la petite ritournelle finale, le chemin parcouru par les personnages semble finalement bien modeste et le film se contente de déplacer timidement les stéréotypes sans jamais les dépasser. Avec pour seul résultat un dernier cliché, le plus rebattu de tous : une famille unie qui tourne joyeusement sur elle-même.