Roschdy Zem devient ambitieux. L’estimable acteur, passé à la réalisation il y a peu avec la comédie inter-confessionnelle Mauvaise foi, s’attache ici, avec son producteur et complice Rachid Bouchareb (Indigènes, Hors-la-Loi), à remettre au goût du jour un genre qu’on croyait désormais dévolu à la production télévisuelle : le « film-dossier », sage avatar de la fiction « basé sur une histoire vraie », articulant scrupuleusement les faits en un récit à la démarche dénonciatrice mécanique, et dont on peut citer certains spécimens du petit écran (d’Yves Boisset : L’Affaire Seznec, L’Affaire Dreyfus, L’Affaire Salengro) et du grand (Sacco et Vanzetti de Giuliano Montaldo). Sujet du jour : l’affaire Omar Raddad. La société française, son institution judiciaire connue dans son histoire comme peu encline à se remettre en question, restent hantées par le souvenir encore chaud de ce feuilleton tragique où pèsent les soupçons de racisme et de conflit de classes, où un homme a été condamné pour homicide volontaire sur la foi d’une enquête aussi approximative que la conjugaison du message accusateur, prétendument griffonné par la victime et devenu titre de ce film.
Soucieux d’exposer toutes les pièces du dossier et seulement celles-ci, Omar m’a tuer fait bifurquer sa narration entre deux points de vue appelés à se rejoindre à mi-parcours. D’une part, le film s’attache aux pas d’Omar Raddad, reconstituant ce qu’il a directement vécu de manière avérée, depuis son arrestation en 1991 jusqu’au refus, prononcé en 2002, de réviser son procès. D’autre part, on suit un personnage de détective amateur à demi fictionnel — inspiré de l’écrivain Jean-Marie Rouart auteur d’Omar : la construction d’un coupable — dont la seule fonction, sur le plan narratif, est d’exposer le « hors-champ » du point de vue de Raddad : les éléments de l’affaire auxquels sa défense n’a pas eu accès, les pistes que les enquêteurs auraient pu ou dû suivre, les zones d’ombre qui auraient dû bénéficier à l’accusé.
La suffisance du bon côté
A priori, Zem ne se donne pour seule ambition que de rafraîchir les mémoires sur l’intégralité du mystère autour du meurtre de Ghislaine Marchal : un objectif plutôt scolaire, mais dont le souci d’exhaustivité pourrait être un signe d’honnêteté parlant en sa faveur. Seulement, on constate à la longue qu’il s’agit d’une honnêteté par défaut, au sens le plus conformiste du terme : pas franchement au contact de son sujet, retranché derrière les apports de la documentation et la façon dont les savoir-faire techniques vont en faire un récit bien huilé. Pour que cette honnêteté soit sincère et conséquente, il faudrait qu’il y ait (paradoxe apparent) un parti pris, une affirmation, un regard qui embrasse le matériau foisonnant, en saisisse les contours et les disparités, se positionne consciemment vis-à-vis de l’ensemble et de chacune de ses composantes. Un tel regard concerné, on ne le croise guère dans la façon qu’a le film d’étaler tous les éléments de l’affaire exactement sur le même plan, des déclarations fracassantes des avocats aux zones d’ombre manifeste de l’accusé, comme si tout se valait, comme s’il ne s’agissait que de surligner l’idée préalablement acquise que Raddad aurait dû être acquitté. Image de cet aplanissement réducteur : une scène de dialogue pour le moins sommaire où des voisins de Mme Marchal déballent à la chaîne à l’écrivain-détective toutes les pistes négligées par les enquêteurs, nonobstant leurs degrés inégaux de crédibilité, telle une plaidoirie peu regardante et faisant feu de tout bois.
Au fond, le dossier assemblé en film par Zem pose le même problème que ceux de Montaldo et d’autres faiseurs académiques : leur engagement, leur volonté de témoignage sont-ils sincères, ou ne font-ils, en bons conformistes, que s’appuyer que sur des idées déjà largement admises, pas toujours pour les bonnes raisons (dans ce cas-ci : pour ne pas se retrouver dans le camp d’une justice qu’on a pu épingler comme « raciste ») ? Le partage du film entre deux points de vue de deux personnages ne fait que mettre à nu la vision assez paresseuse du réalisateur, un peu trop facilement sûr de la justesse de la cause Raddad pour interroger son propre rapport avec elle. D’une part, sa reconstitution appliquée résume Omar Raddad à un bon mari, bon fils, bon père et jardinier dévoué, évidemment imparfait (sa dépendance au jeu), handicapé par son français hésitant qui dissimule aux yeux de ses accusateurs la lucidité qui est la sienne, et très professionnellement joué par Sami Bouajila, mais qui peine à être un personnage plutôt qu’une énième figure de l’innocence bafouée. D’autre part, le personnage du détective, à la fois prétexte scénaristique et expression de l’indignation humanitaire pour la vérité et le droit (véhiculée avec roublardise par Denis Podalydès), ne fait que trahir, par des scènes de dialogues ânonnant mécaniquement cet état d’esprit, le fondement de celui-ci : une bonne conscience bourgeoise à la sincérité discutable, confortablement installée dans sa certitude d’être du bon côté. La défense se passera aisément d’un témoin de moralité aussi douteux.