Indigènes l’a propulsé sur le devant de la scène, mais Roschdy Zem n’a pas attendu son prix d’interprétation cannois pour prouver qu’il est l’un des comédiens français les plus importants de sa génération : de ses petits rôles chez Téchiné à son premier grand chez Xavier Beauvois (N’oublie pas que tu vas mourir, 1995), Zem a creusé son sillon dans des films à la fois populaires et ambitieux, toujours empreints d’une certaine conscience sociale : En avoir (ou pas) (Laetitia Masson, 1995), Ma petite entreprise (Pierre Jolivet, 1999), Vivre au Paradis (Bourlem Guerdjou, 1999), La Parenthèse enchantée (Michel Spinosa, 2000), Va, vis et deviens (Radu Mihaileanu, 2005), Le Petit Lieutenant (Xavier Beauvois, 2005)… C’est donc tout naturellement que Roschdy Zem passe à la mise en scène avec un film sur la religion et les questions posées par sa pratique dans un pays laïque, où les différentes communautés coexistent de façon de plus en plus difficile, en écho à une situation internationale alarmante.
De son passage chez des cinéastes pour qui le questionnement (politique, social) n’est pas incompatible avec un certain sens du spectacle, Roschdy Zem a retenu une leçon capitale : la réflexion n’empêche pas le divertissement, et vice versa. Mauvaise foi est donc, a priori, une comédie romantique, qui met en scène un couple merveilleusement épanoui, Clara (Cécile de France) et Ismaël (Zem lui-même). Elle est juive, il est arabe, ce qui ne pose aucun problème jusqu’à ce que Clara tombe enceinte et décide de présenter Ismaël à ses parents, qui ignorent les origines du jeune homme. Entre les réticences de leurs familles respectives et les remises en question personnelles qui s’ensuivent chez l’un et l’autre, leur quotidien va devenir un enfer et leur avenir en commun plus que compromis.
Difficile de ne pas penser à une autre comédie, américaine celle-là, également réalisée par un comédien (Edward Norton) en 2000 : Au nom d’Anna, dans laquelle un prêtre et un rabbin, amis d’enfance, se disputaient les faveurs de la même jeune femme, athée. Partiellement réussi, le film n’utilisait le thème de la religion qu’à des fins purement comiques ou dramatiques sans réellement s’interroger sur la place du sacré dans la société américaine. Roschdy Zem évite cet écueil en confrontant les personnages principaux à un héritage spirituel qu’ils ont choisi d’ignorer sans se douter qu’il fait partie intégrante de leur personnalité et de l’environnement social dans lequel ils ont été élevés. En fermant les yeux sur une réalité qu’ils ont fuie en « omettant » de parler de leur couple à leurs familles, nos deux héros se voient réagir violemment face à la prise de conscience tardive de ce que la rareté de leur couple implique. Roschdy Zem parvient à jongler harmonieusement entre les nombreux ressorts comiques qu’une telle situation ne manque pas de susciter, et les questions plus graves qui s’y affèrent. À tel point que l’on peut rire à gorges déployées devant certains gags (Jean-Pierre Cassel, parfait en père juif, qui appelle Ismaël « Israël ») et ressentir un certain malaise devant les crises du couple. Roschdy Zem, notamment, en profite une fois de plus pour démontrer l’étendue de sa palette de jeu, tour à tour irrésistible en amoureux transi et effrayant dans son désir absurde de coller aveuglément à sa religion, l’Islam, qu’il croit soudainement devoir appliquer à la lettre. Face à lui, Cécile de France n’est pas mal non plus dans un rôle plus sombre qu’à l’accoutumée, qui laisse entrevoir un talent dramatique encore peu exploité.
Malgré quelques longueurs et une mise en scène un peu hésitante, Mauvaise foi tient presque miraculeusement sur cet équilibre précaire, probablement parce que Roschdy Zem prend bien soin de ne pas céder aux facilités habituelles. Les personnages secondaires, notamment, sont parfaitement dessinés. Le rôle obligé et casse-gueule du meilleur copain (Pascal Elbé) dépasse ici le statut accessoire du confident en offrant d’autres entrées sur les pistes de réflexion développées par le scénario. Dans chacune des deux familles, une femme dissidente vient donner un coup de pied dans la fourmilière : la petite sœur d’Ismaël, un pied dans la tradition musulmane (elle fait le ménage chez son grand frère) et l’autre dans un post-féminisme impétueux (elle joue au foot et casse volontiers la figure aux types qui lui cherchent des noises) ; la tante de Clara, célibataire grande gueule un brin borderline, confidente de sa nièce et porteuse de quelques secrets lourds à assumer… Roschdy Zem malmène les clichés avec bonheur, jusque dans les personnages de mères, ni stéréotypés ni trop décalés, à l’image de tous les personnages : touchants et agaçants, parfaitement humains.
Dommage, alors, que sur le dernier quart d’heure, Roschdy Zem se fourvoie dans un suspense maladroit et complaisant tout à fait dispensable et que la toute dernière scène, prévisible, fonce droit dans le mur gnangnan que le réalisateur avait jusque là parfaitement évité. Mais cela n’a finalement que peu d’importance : comédie grave ou drame léger, Mauvaise foi est à l’image de son réalisateur. Ce qui est déjà suffisant pour en faire un auteur à suivre.