Hervé Pierre Gustave, dit « HPG », est un personnage intrigant. Tout en poursuivant depuis plus de vingt ans une enviable carrière d’acteur et réalisateur « auteur » de cinéma porno, le voilà qui, depuis quelques années, s’incruste inopinément dans le paysage cinématographique « traditionnel ». Ses récents essais d’autofiction, réalisés par lui-même (On ne devrait pas exister) ou par d’autres sur du matériau qu’il a fourni (Il n’y a pas de rapport sexuel), où il remettait en perspective son activité dans le X, ont séduit la critique. Avec Les Mouvements du bassin, cependant, il prend de nouveaux risques, en s’essayant pour la première fois à la pure fiction non pornographique. Non que le « métier » du réalisateur dans le porno soit tout à fait tenu à l’écart — en fait, le genre réapparaît en filigrane des Mouvements du bassin avec un apport assez inattendu. Les éclairages de petit studio, les dialogues les plus crus débités comme dans une sitcom révèlent un double effet : d’une part, leur artificialité criante instaure d’emblée une distance de sécurité contre tout risque de naturalisme ; d’autre part, leur crudité opère comme une mise à nu brutale de la misère morale/sexuelle et des pulsions qui agitent le petit monde filmé par HPG. Ce qui ouvre une porte d’entrée vers les motivations générales du film — reste à savoir par quels moyens l’auteur les met en œuvre.
Quête d’identité
En deux — voire trois — histoires alternées et convergentes, HPG propose une vision assez pathétique de l’espèce humaine. C’est d’abord l’histoire d’Hervé (campé par HPG lui-même, avec sa fascinante silhouette de M. Propre tendu), célibataire bien névrosé suivant des cours de self-defense dont il ne tire que des gesticulations impuissantes, tandis qu’il passe de petits boulots en petits boulots toujours moins épanouissants. C’est l’histoire d’un veilleur de nuit qui veille avec un amour chaste sur les activités de prostitution de sa compagne transsexuelle, et qui devient le nouveau et tyrannique patron d’Hervé. C’est enfin l’histoire de Marion, femme en mal d’enfant et prête à courir les bars pour se faire engrosser dans les toilettes, mais qui trouve l’espoir dans la relation intime qu’elle noue avec l’infirmière qui s’est entichée d’elle, ses sentiments à elle restant plus ambigus. Soit une galerie de personnages enfermés dans une relation complexée avec leur corps, leur sexualité, leur humanité dans ce qu’elle a de plus animal. Ils ne sont cependant pas tous logés à la même enseigne dans leur façon d’exprimer ce mal-être. Notamment, HPG acteur, reconduisant l’idée de jeu tout en performance physique qu’il mettait déjà en évidence dans ses autofictions autour du X, base l’essentiel de l’incarnation de son personnage sur une pantomime forcenée et désespérée. Quand il ne se morfond pas dans des activités déprimantes, il lui arrive d’entrer dans une danse grotesque, agitation des bras et du bassin qui ne suscite qu’un rire plutôt grinçant, et qui revient parfois hanter le film par courtes irruptions, le marquant de son caractère morbide. Ainsi se fait-il triste clown en quête d’identité, jusqu’à se déguiser en super-héros (clin d’œil au Condoman d’On ne devrait pas exister). Pour ce personnage, le réalisateur s’appuie avant tout sur la captation du corps et des références à l’ « univers » défini dans sa filmographie, et tient là la meilleure incarnation de son propos sur la misère intérieure qui peut paralyser l’humain. Les autres personnages, en comparaison, sont plus soumis à l’écrit, au scénario qui définit leur situation et trace leur parcours, charte à peine soulagée de son aspect téléguidé par quelques provocations un peu grasses (telles qu’un sandwich dégoulinant sur une glacière de sperme volé).
Quête d’humanité
On aimerait ne pas devoir faire la fine bouche devant un essai qu’on suppose sincère, en tout cas non dénué d’inspiration et d’empathie, sur l’humain sexué. Ce qui contrarie l’adhésion est que cette mainmise du scénario sur l’existence des personnages finit par gagner du terrain, annexant même le territoire de folie d’Hervé/HPG, du moment où il lui fait rencontrer accidentellement (c’est le cas de le dire) Marion, jusqu’à son ultime déchéance. Cette dernière partie accrédite le sentiment que HPG construit son conte de la misère humaine au détriment de sa proximité avec l’humain, en prenant une certaine distance pour faire des personnages ses « choses », jouets de ses décisions d’auteur. Si le fait qu’il n’épargne pas son propre personnage peut a priori passer pour la marque d’un cinéaste implacable désireux de régler quelques comptes avec lui-même, le fait qu’il ne lui laisse pas la moindre chance, l’enchaîne résolument à un destin de loser (à peine soulagé au dernier plan par un certain espoir), a de quoi interpeller sur la nature de son pessimisme, sur sa part de sincérité et sa part d’affectation. Quant aux autres personnages, ils ont beau relever chacun d’une certaine idée de sexualité hors normes, leur progression dans le film paraît encore bien normée, un peu trop dépendante de ce qu’on a écrit pour les définir, l’historique et la brève caractérisation. Bien qu’ils puissent occasionnellement nous toucher, plus ou moins aidés par le jeu des acteurs (HPG convainc par sa gestuelle, le jeu familier de Cantona touche plus ou moins juste, Brakni est à la peine), HPG cinéaste, trop occupé à en faire des illustrations de son propos, peine à les filmer comme des êtres vivants, donc des aperçus non contrefaits de l’humain — les personnages féminins étant moins bien lotis que les autres. Cela nuit quelque peu à la justesse de l’expression d’une voix singulière et d’observations somme toute pertinentes.