Pour son troisième long-métrage Gonzalo López-Gallego explore le genre cinématographique du survival angoissant. Le point de départ est simple, deux jeunes gens paumés dans la montagne se font canarder à la grosse carabine par des tireurs non identifiés. La réalisation soignée et l’approche assez conceptuelle sont plutôt convaincantes avant que tout ceci ne soit partiellement désamorcé par un final un brin moralisateur, et surtout dénué d’intérêt.
Pour réaliser son film, le cinéaste a bien révisé ses classiques, et ne s’en cache pas dans le dossier de presse : Délivrance de John Boorman, Les Chiens de paille de Sam Peckinpah ou encore Elephant de Gus Van Sant. Voilà pour les références. Plutôt de bon goût ce Gonzalo López-Gallego. Le premier plan ne laisse pas le moindre doute au spectateur quant au ton du film. Assez bref (en tous cas moins long que ceux Shining ou Funny Games – US ou pas), il n’en est pas moins significatif : voici une voiture filmée en plongée sur une route avec une musique angoissante (à signaler la belle bande originale). Bref, on est là pour avoir les pétoches.
Tout commence dans une station-service. Au terme de quelques œillades, Quim, dont le cœur est brisé, se retrouve fissa dans les toilettes avec la jolie Bea pour une partie de jambes en l’air. Vite fait bien fait, la voilà repartie et lui n’a plus son portefeuille. Pas tout à fait inélégante, la belle lui a cependant payé son plein. Arrive alors le moment fatal sur la route, il aperçoit la voiture de la donzelle qui a quitté l’axe principal pour un secondaire. Arrêt, hésitation, grattage de tête. Zou ! Allez hop à droite. Après quelques kilomètres sur des routes de plus en plus escarpées et biscornues : un premier coup de feu sur la voiture. La chasse est ouverte. Après quelques péripéties, le couple fugace est reconstitué. Malgré la méfiance, ils feront cause commune dans un environnement aussi bucolique qu’hostile.
Les Proies joue volontairement sur des ressorts dramatiques éculés tout droit sortis du film d’horreur de série Z : la panne de voiture ou le téléphone portable qui ne capte pas (et non la variante « plus de batterie »…). Le spectateur est convié à ce petit jeu sur le mode du « mais qu’il est con de tourner à droite ! » ou encore « mais bande de nases n’entrez pas dans cette vieille baraque pourrie ! » Plus intéressant, il se place clairement sur le terrain du jeu vidéo à plate-forme ; les protagonistes, après avoir satisfait une épreuve, se retrouvent face à une nouvelle : la route, la forêt, la rivière, le canyon… Le tout avec une seule vie. Et Quim était à l’origine parti pour retrouver sa « princesse », c’est-à-dire comme « Wonderboy » (pour les nostalgique de la console Sega). Cette entrée du jeu vidéo dans la fiction cinématographique est loin d’être une nouveauté. eXistenZ bien sûr organisait une vertigineuse mise en abyme, mais souvenons-nous aussi du King Kong de Peter Jackson qui était scénarisé à la manière d’un jeu vidéo, surtout pour la partie du film se déroulant sur l’île. Et pour ce dernier, la sortie du blockbuster fut couplée avec la sortie d’un… jeu vidéo.
Mais le cinéaste s’aventure sur des terres plus contemporaines et « raffinées » en matière de jeu vidéo, notamment en adoptant le point de vue subjectif pour les tueurs, comme dans ces bons « shoot them up ». On voit ainsi par le viseur des armes ou bien le canon du fusil se balade devant la caméra. L’adoption de ce mode de regard permet d’inscrire la menace partout en diluant celle-ci dans l’environnement, notamment la forêt. Formellement, Les Proies est mené de manière impeccable et efficace. Une belle photo pleine de variation, passages de teintes froides à chaudes, qui renvoie aux changements de tableaux du jeu. Le filmage se fait près des corps, dans l’action et la respiration des personnages. Tout cela sert bien l’approche conceptuelle du film et son propos. Gus Van Sant, dans Elephant, quittait provisoirement la bulle du lycée pour pénétrer celle des tueurs regardant un discours de Hitler dans l’indifférence, jouant à un jeu vidéo mortifère ou encore à touche-pipi sous la douche. Tout en étant précautionneux pour ménager le suspens et en relativisant la valeur des films, Gonzalo López-Gallego choisit de changer de dispositif en cours de route, et c’est regrettable, du moins pour ce qu’il en fait : l’intervention d’un discours moralisateur sans surprise.