Pour son premier film, le jeune réalisateur Mikael Buch souffle un vent de fraîcheur sur la comédie française. Si la question de la judéité tient une place centrale dans le récit, Let My People Go ! est avant tout une ébouriffante réflexion sur le genre (cinématographique et sexuel), emmenée par une galerie d’acteurs en grande forme, parmi lesquels une belle révélation, Nicolas Maury.
Comme il l’explique dans l’interview qu’il nous a accordée, Mikael Buch aime le cinéma pour le plaisir qu’il lui procure en tant que spectateur. Les premières scènes de Let My People Go ! font clairement échos à cette notion dans la mesure où le réalisateur a minutieusement reconstitué un univers factice qui a autrefois nourri ses fantasmes de démiurge en devenir. Quelque part entre les symboles de Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk et le décor de Péché mortel de John M. Stahl, vit donc Ruben (Nicolas Maury), Français gaffeur et extraverti, venu jusqu’en Finlande pour suivre son petit ami du coin. Évoluant dans un univers de fiction loin de tout naturalisme, le jeune homme est amené, par un malheureux concours de circonstances qui le fait passer pour criminel et voleur, à rompre le charme de ce quotidien irréaliste en rentrant en France. Là, il y retrouve l’écrasante cellule familiale empêtrée dans une judéité gentiment anxiogène propice à toutes sortes de situations borderline.
Coécrit avec Christophe Honoré (qu’on aurait difficilement imaginé collaborer à ce type de projet), le scénario de Let My People Go ! ne recule devant aucune cocasserie. En multipliant des situations totalement abracadabrantes, le film permet surtout à son acteur principal, Nicolas Maury, de révéler un véritable génie burlesque, comme si son corps était doté d’une intuition qui lui permettait d’être exactement là où il faut (ou pas) pour générer spontanément de la fiction. Aperçu dans quelques films de grande qualité comme Les Amants réguliers de Philippe Garrel (où il jouait un jeune étudiant en plein trip) ou encore Belle Épine de Rebecca Zlotowski (où il incarnait le frère cynique d’Anaïs Demoustier), l’acteur n’avait jamais eu l’occasion de porter un long-métrage sur ses épaules. Mikael Buch a eu d’autant plus le flair de parier sur cette nouvelle tête qu’il a pensé le contrechamp des aventures de Ruben (la famille) avec tout autant de discernement, en choisissant pour son casting des acteurs totalement survoltés parmi lesquels trône l’impériale Carmen Maura, pile électrique (exagérément) dévouée au bonheur des siens.
Même si le scénario flirte parfois avec la comédie de boulevard (quiproquos, portes qui claquent, etc.), Let My People Go ! est surtout une réflexion pleine d’entrain sur la question du genre : qu’il y soit sexuel ou cinématographique – on reconstruit les classiques américains comme autant de points de fuite de la réalité tout en prenant comme tuteur lointain Jacques Demy –, le film dynamite avec un enthousiasme communicatif les étiquettes qui assignent de manière trop définitive les rôles de chacun. Avec un certain mordant (il fallait oser le gag du rêve sur l’aérosol qui vous transforme en bon Juif), Mikael Buch tord le cou à toutes ces entraves (culturelles, sexuelles) qui empêchent Ruben de devenir celui qu’il rêverait d’être tout en vivant sereinement auprès des siens. En toute modestie parce qu’armé d’un véritable sens de l’autodérision, le film s’achève sur un beau plan d’ensemble où l’utopie devient collective, désormais libérée de ses nombreux points aveugles qui, au début du récit, entravaient sa pérennité. Même s’il est euphorisant de bout en bout, Let My People Go ! laisse poindre à la dernière minute une émotion totalement inattendue qui donne à cette tonitruante comédie un doux parfum de mélancolie.