À l’occasion de la sortie en salles de Let My People Go !, nous avons rencontré le réalisateur, Mikael Buch, dont c’est le premier long-métrage. À seulement vingt-huit ans, le jeune homme détonne déjà dans le paysage de la comédie française en livrant un film survolté et euphorisant. À découvrir en salles à partir du 28 décembre.
L’ouverture du film sonne comme un hommage au cinéma classique hollywoodien (Douglas Sirk, le lac dans Péché mortel de John M. Stahl, etc). Pour ton premier film, était-ce un moyen de revendiquer une certaine cinéphilie qui t’a donné envie de faire du cinéma ?
Quand j’ai commencé à penser au film, j’avais tout de suite en tête la notion de plaisir de cinéma, d’aller vers ce qui me procure un véritable plaisir de spectateur. Et ce plaisir-là était lié à une sorte d’intensité du cinéma classique hollywoodien pour son rapport au Bigger than life, faire quelque chose de «plus grand que la vie». Dans mon film, on parle de choses intimes, d’une histoire sentimentale mais s’y ajoutent des transformations qui font que nous sommes dans un monde de cinéma. Cela passe donc par l’image, la couleur, par un travail esthétique. En ce sens, mon idéal de cinéma, c’est Jacques Demy qui, en filmant Cherbourg ou Rochefort, repeint la ville pour en faire un décor de cinéma. Et pour compléter mon propos, je reprendrais une phrase d’Hitchcock que j’adore : «Je ne veux pas faire des tranches de vie, je veux faire des tranches de gâteau.»
Entre la vie de Ruben en Finlande et son retour en France, il y a vraiment une rupture esthétique. Comment as-tu travaillé cela ?
La Finlande joue pour Ruben le même rôle que le cinéma a joué dans ma propre vie. C’est un monde d’évasion. Enfant, j’étais assez solitaire et un peu mélancolique. Le cinéma était le monde dans lequel je voulais vivre. Pour Ruben, la Finlande était un peu le pays qui s’accordait à ses désirs et l’opposition esthétique est partie de là. D’un côté, un monde de cinéma, de l’autre, Paris où il retrouve sa famille et où tout est plus incontrôlable. L’idée du film était de faire se croiser ces deux univers.
La comédie française souffre souvent d’un manque d’adéquation entre l’écriture et la mise en scène souvent très académique. Let My People Go outrepasse ce genre de défauts et fait preuve d’une certaine ampleur : comment s’est déroulée l’écriture et quelles ont été tes références ?
Je ne suis venu en France que pour faire mes études de cinéma. Je n’ai donc pas eu une éducation franco-française. J’ai un père argentin, une mère marocaine, j’ai grandi en Espagne. Tout cela fait que je ne me suis jamais senti français moi-même et je ne me suis donc jamais posé la question de faire ou non un film français. Au-delà, le cinéma avec lequel j’ai grandi était américain. La langue avec laquelle j’ai appris à parler, c’est celle des comédies américaines, de Vincente Minnelli à Judd Apatow ou Wes Anderson en passant par les frères Coen. Mon rapport au cinéma s’est donc construit avec ces cinéastes-là même si, en France, Truffaut ou Demy ont beaucoup compté pour moi. Pour ma part, je voulais surtout faire un film de mise en scène et surtout pas traiter mon sujet sous un angle sociologique (le coming-out, la judéité). Pour moi, il s’agissait avant tout d’avoir une histoire de personnages, une aventure esthétique.
Pour l’écriture, tu as collaboré avec Christophe Honoré dont l’univers est généralement bien plus sombre. Comment s’est passée votre rencontre ?
J’ai rencontré Christophe lorsque j’étais encore étudiant à la Femis. Entre nous s’est très vite installée une vraie complicité. Il m’a aidé sur mes courts-métrages et m’a proposé de travailler sur ses films. Je me suis donc retrouvé à faire plein de boulots différents (script, casting, assistant mise en scène). Pour moi, ce fut un véritable apprentissage. Lorsque j’ai commencé à écrire Let My People Go, c’était celui qui connaissait le mieux mon cinéma. Il a donc vraiment joué le rôle de scénariste dans la mesure où il savait où je voulais aller et qu’il voulait de donner les outils pour y arriver. J’aime beaucoup les films de Christophe Honoré mais nos univers sont tout aussi différents que lui et moi pouvons l’être en tant que personnes.
Au regard de cette collaboration, des affiches de Demy qui apparaissent dans le film et du titre qui sonne comme une ritournelle pop, aimerais-tu un jour faire un long-métrage musical ?
J’aimerais plus que tout. Après, c’est très difficile. Jacques Demy avait l’énorme chance d’avoir Michel Legrand à ses côtés. Pour faire une comédie musicale de la façon dont je voudrais la faire, il faudrait que j’établisse avec mon compositeur un rapport de coscénariste mais aussi de coréalisateur. Dans Les Parapluies de Cherbourg, c’est la musique qui fait la mise en scène, d’une certaine façon. J’ai également un rapport très fort à la comédie musicale américaine, aux pièces de Leonard Bernstein et Stephen Sondheim. Mes goûts vont moins vers la musique pop d’aujourd’hui, par exemple. Du coup, formuler ces envies de manière contemporaine est un véritable défi mais que j’aimerais relever. Sur Let My People Go !, j’ai déjà eu la chance de travailler avec un compositeur absolument génial.
Les questions de la judéité et de l’homosexualité sont au centre de Let My People Go. As-tu voulu faire une comédie sur la question du genre ?
On peut dire que c’est une comédie sur le genre mais je me le suis pas formulé ainsi. Par rapport au personnage de Ruben, la question qui m’intéressait était de savoir comment on peut s’inventer soi-même sans renier un héritage et une identité, c’est-à-dire trouver l’équilibre entre la part d’identité qu’on subit et celle qu’on choisit. Au début du film, on retrouve Ruben en Finlande où il semble s’être inventé un monde parfait, sauf qu’il finit par être rattrapé par son hérédité et qu’il va devoir l’intégrer dans la vie qu’il s’est construit.
Même si tu n’avais pas forcément en tête de faire un film sur la question du genre, penses-tu néanmoins que le cinéma peut contribuer au débat sur le genre quand celui-ci effraie les politiques ?
Je crois beaucoup en cela car le pouvoir du cinéma est de permettre aux spectateurs de les mettre ailleurs que dans leur propre vie. J’y ai vraiment réfléchi en créant le personnage de Ruben. Dans Torch Song Trilogy avec Harvey Fierstein, on voit un homosexuel qui sort des stéréotypes et auquel chacun peut s’identifier, ce qui constitue en soi un véritable geste politique. Au cours des avant-premières et des présentations dans les festivals de Let My People Go !, j’ai vu des spectateurs qui n’étaient absolument pas sensibilisés à la question de l’homosexualité mais qui étaient capable de pleurer avec Ruben. Pour moi, ces personnes ont fait un pas sur le plan politique et cela me semble très important. Dans Tout sur ma mère de Pedro Almodovar, en mettant en scène un personnage de transsexuel qui ne renie rien de sa paternité, le réalisateur montre une autre famille possible. Et pour moi, il n’y a rien de plus beau au cinéma lorsqu’on crée des hypothèses. Sur le plan politique, le cinéma a donc une force unique.
Ton casting est populaire mais tu as choisi de confier le premier rôle à Nicolas Maury, peu connu du grand public. Pourquoi ce choix ?
Mes travaux, jusqu’ici, étaient d’une tonalité dramatique et j’avais envie d’aller vers la comédie (et ce n’est pas le genre qui a le plus la cote à la Femis). Lorsque j’ai rencontré Nicolas, un véritable déclic s’est produit car il avait un jeu si particulier qu’il avait un style de comédie qui lui était propre. Avec lui, je savais que la comédie n’allait plus devenir une affaire de scénario car il allait pouvoir se l’approprier véritablement. Nicolas, lorsqu’il rentre dans une pièce, on sait pertinemment qu’il va se passer quelque chose de burlesque. Cette rencontre est donc allée de pair avec ma volonté de faire de la comédie. Au moment d’écrire Let My People Go, il était donc déjà une source d’inspiration.
Comment as-tu réussi à l’imposer auprès de la production ?
J’ai eu la chance de travailler avec des producteurs qui aimaient beaucoup mes courts-métrages et qui ont tout de suite vu la particularité de Nicolas en tant qu’acteur, de notre rapport à tous les deux et d’une originalité à défendre. Parmi les autres acteurs bien plus connus et au sein d’un univers très fictionnel, j’avais envie qu’on ait un rapport presque documentaire à Nicolas, qu’on ait l’impression qu’il s’agissait vraiment de sa vie. Lui a donc apporté en tant qu’acteur quelque chose de vraiment précieux.
Tout comme les premières scènes rendent hommage à Sirk, ton choix de diriger Carmen Maura est-il lié au fait qu’elle fut l’une des muses de Pedro Almodovar ?
Comme j’ai grandi en Espagne jusqu’à mes dix-huit ans, j’étais un peu embêté que cette famille soit franco-française. Et lorsque j’étais petit, Carmen Maura, pour moi, c’était vraiment l’actrice. Je l’avais vue dans les films de Pedro Almodovar, Carlos Saura ou Alex de la Iglesia. Dans son pays, elle incarne un peu ce que Catherine Deneuve est en France, une icône, une référence. Du coup, c’était une manière pour moi de revendiquer ma part de cinéma espagnol mais il est vrai que les films d’Almodovar ont beaucoup compté dans ma cinéphilie. Dans La Loi du désir, par exemple, elle offre pour moi l’une des plus belles compositions d’actrice de l’histoire du cinéma.
Comment s’est passée votre rencontre ?
Elle était assez émue et fière de rencontrer un jeune espagnol qui parvenait à faire son film en France. Tout comme Jean-François Stévenin que je dirige également ici, ce sont des acteurs qui ont commencé à collaborer avec des metteurs en scène dès leurs débuts. Ils ne sont pas juste à leur place de comédien mais sont de vrais complices en s’intégrant dans l’équipe et en étant aux côtés du metteur en scène pour que le film se fasse de la meilleure façon. La complicité s’établit donc immédiatement et évacue toute question de notoriété. Carmen Maura est quelqu’un de simple et de très pragmatique, toujours présente sur le plateau même lorsqu’elle ne tourne pas.
Let My People Go ! porte la vraie marque d’un auteur tout en étant pop et grand public : est-ce ce qu’on pourrait appeler un film du milieu ?
C’est une question compliquée et j’adorerais que ce soit cela le cinéma du milieu. Au moment de la parution du rapport (du Club des 13), je me suis posé beaucoup de questions sur cette définition : est-ce que cela se décide en fonction du nombre d’entrées ? Le cinéma que j’aime porte en lui une dimension populaire, cette capacité à parler de choses profondes en ne reniant pas une certaine légèreté. Pour moi, lorsque je pense au cinéma du milieu, je le formule davantage dans un rapport au genre. Du coup, je pense plus à Polanski ou aux frères Coen pour parler d’un cinéma du milieu. Mais comme ils ne sont pas français, cela me semble difficile de répondre. Je pourrais évidemment citer Pascale Ferran, André Téchiné ou Patrice Chéreau, mais ce n’est pas de leur travail dont je me nourris au moment de l’écriture. Il m’est donc difficile de m’identifier à eux.
Le marketing autour des films amène de plus en plus l’identification d’un public-cible. Comment fait-on avec un film aussi hybride que le tien ?
Je peux te répondre par rapport à ce que j’ai observé en projections. Ce qui m’a frappé, c’était la présence des jeunes et d’adolescents. Je ne me suis pas posé la question du public ciblé lorsque j’ai écrit le film mais je me rends compte qu’il interpelle finalement ceux qui interrogent leur rapport à la famille, la manière de se construire avec celle-ci. Les mères étaient également très présentes et souvent très émues. Je me suis rendu compte que le film était plus accessible que je n’aurais pu l’imaginer au moment de son écriture. S’il y a une surprise au moment de la découverte du film, elle ne semble pas problématique pour le public. L’originalité d’un film relève toujours d’un accident, cela ne peut pas être une volonté de départ.
Ton premier long-métrage sort alors que tu n’as que 28 ans. As-tu déjà en tête de futurs projets ?
J’ai effectivement un projet en écriture qui serait un peu dans la continuité de mon premier film. Mais il s’agirait d’un conte, d’un film de vampires qui va encore plus loin que Let My People Go ! dans la création d’un univers de cinéma.