Inspiré de la vie d’un jeune Indien adopté par un couple d’Australiens quelques mois après avoir accidentellement perdu le chemin de sa maison (et donc la trace de sa famille), Lion est le film-argument « tiré d’une histoire vraie » par excellence, ne trouvant sa finalité que dans son strict achèvement, ici la quête douloureuse et sinueuse de ce déraciné pour retrouver précisément d’où il vient et rassurer les siens sur ce qu’il est devenu. Que le film se conclue sur les images réelles de l’homme revenu aux côtés de sa mère adoptive dans son village natal pour embrasser sa mère biologique nous donne d’ailleurs la désagréable impression que le film n’a jamais eu pour autre ambition que d’être une pâle imitation du réel, ajoutant de l’ornement dramatique pour mieux faire pleurer dans les chaumières, délestant par la même occasion les faits réels d’une ambiguïté salvatrice. Pour parfaire cette singerie pas franchement subtile, le réalisateur et les acteurs n’ont pas été avares dans le mimétisme, allant jusqu’à reproduire la permanente de la mère adoptive, donnant à Nicole Kidman des airs de caniche apeuré par la démarche introspective de son fils dont la découverte de son identité véritable pourrait d’un coup remettre en question le rôle qu’elle a généreusement occupé jusqu’ici. Mais que l’on se rassure, Lion ne cherchera jamais à faire du mal à ceux qui ne le méritent pas. Pas loin de sombrer dans un discours assez nauséabond sur l’inné, le premier film de Garth Davis (qui a auparavant officié sur la série Top of the Lake en réalisant quatre épisodes) n’hésite pas à mettre en opposition les deux frères adoptifs dès leur première rencontre : le premier (celui qui nous intéresse) a tout du fils-modèle, soucieux du bien-être de ses parents australiens, conscient de ce qu’il leur doit et bien décidé à réussir sa vie, tandis que son frère arbore dès la seconde où il apparaît un visage disgracieux qui scellera à jamais son statut de mauvais fils, psychologiquement déséquilibré et sujet à la consommation de drogues dures. En somme, nous sommes face à la synthèse on ne peut plus manichéenne de l’adoption réussie versus l’adoption ratée.
L’enfant des rues
Il n’y a rien d’étonnant à ce que le film soit vendu comme une resucée de Slumdog Millionaire, Hollywood se découvrant depuis quelques années une curiosité à peine teintée de condescendance pour l’exotisme indien (voir les récents et désespérants Indian Palace au sein desquels officiait déjà le cabotin Dev Patel). Ici comme dans le film tape-à-l’œil de Danny Boyle, la manière de dépeindre le quotidien des Indiens les plus pauvres (vivant chichement du glanage ou de petits trocs en tous genres) devient le prétexte à une plongée dans l’enfer de la rue où les petits orphelins sont exposés à tous les dangers. Là où le film s’en tire à bon compte, c’est qu’il reste constamment à hauteur de vue de son jeune héros, distillant un malaise à peine explicité lorsque les adultes expriment un intérêt un peu trop marqué pour sa petite personne. Le récit évite donc à ce point précis de se complaire dans le glauque qui lui tendait les bras, la violence et les trafics en tout genre restant rivés à un hors-champ salutaire. Même le passage du jeune égaré dans un orphelinat de fortune déjouera les craintes que l’on pouvait légitimement avoir : les adultes n’y seront pas les monstres redoutés et chacun s’attachera à trouver la meilleure solution pour le déshérité. Finalement, c’est plutôt du côté de l’exploitation des décors que la mise en scène tire ses meilleurs moments : la ferraille omniprésente (le train qui se referme telle une prison, les hangars désaffectés, les ponts gigantesques) se traduit par une succession de déflagrations sonores qui illustrent habilement l’hostilité des lieux pour un enfant à ce point démuni. Certes, le récit mise beaucoup sur le fait que son jeune héros est débrouillard et attachant, peu enclin aux comportements malhonnêtes (tout au plus volera-t-il une fois la nourriture donnée en offrande aux dieux), mais la première partie du film se déroulant en Inde s’en tient à une prudence qui amène le réalisateur à capter les péripéties de notre jeune héros avec une emphase retenue qui tient le plus souvent de l’illustration académique que du tour de force.
La mémoire dans la peau
Là où le film s’effondre littéralement pour trahir sa sidérante vacuité, c’est lorsque l’Indien, devenu un trentenaire séduisant parfaitement intégré dans son Australie d’adoption, se met subitement à penser à son frère biologique autrefois adoré. La vision d’un simple plat traditionnellement préparé dans les rues d’Inde charrie d’un coup tout un flot de souvenirs et provoque une crise existentielle qui amènera le jeune déraciné à se questionner sur son identité. Au-delà des nombreuses scènes qui relèvent maladroitement du passage obligé (les certitudes qui vacillent, la crise de communication avec la petite amie idéale, les disputes avec la famille adoptive), c’est dans son approche de la mémoire enfouie que le film échoue lamentablement à susciter le trouble pour nous faire partager le caractère sinueux de ce voyage intérieur. Pourtant, exploiter les possibilités d’exploration démesurées qu’offre Google Earth était loin d’être inintéressant : au lieu de mener son enquête directement sur place, c’est depuis son ordinateur que le jeune homme va tenter de retrouver le chemin de son passé, tentant de rapprocher les photographies terrestres de ses propres souvenirs. Il y a bien évidemment quelque chose d’excitant à suivre ce cheminement mais le problème est que le film s’en tient à n’identifier qu’une seule ligne de mémoire (celle du chemin de fer que le petit garçon a autrefois emprunté par erreur et qui l’a irrémédiablement tenu éloigné des siens), ignorant que celle-ci fonctionne par strates soumises à la subjectivité de son sujet : seulement ici, les lieux recherchés ne cessent de gagner en précision à chaque fois que la mémoire les convoque, cette démarche introspective ne donnant rien d’autre à voir qu’une clarification croissante des enjeux (on se met à rêver ce qu’un Lynch aurait pu faire d’un tel matériau !). Il est d’ailleurs intéressant de constater à quel point le film s’effondre tel un soufflé une fois le travail d’enquête mené à son terme : la scène de retrouvailles se déroulera en deux temps, ménageant un suspense artificiel (le frère autrefois tant aimé y participera-t-il ?) pour qu’ensuite, le jeune homme accède à une sérénité trop évidente. Le problème fondamental de Lion est d’avoir posé un enjeu de manière tellement simpliste qu’une fois la réponse à la question donnée, le film se désintègre de lui-même.