Malgré son rôle-titre, Marie Madeleine n’est pas tant construit comme un biopic que comme l’adaptation cinématographique d’un chapitre biblique mis en scène selon une nouvelle perspective (celle de la jeune femme, dans son rôle de disciple du Christ). À une séquence près, Garth Davis se tient rigoureusement à un programme esthétique clairement orienté : se limiter à la perception de Marie Madeleine, ici incarnée par Rooney Mara (vue, ouïe), et assurer sa présence durant toutes les scènes, comme l’illustre la première rencontre avec Jésus (Joaquin Phoenix). La pensant gravement malade au début du film, ses proches font appel à un guérisseur, dont on ignore, à ce moment, l’identité. Pour cette rencontre attendue, Davis restreint le cadre à la seule Marie, allongée au sol et dos tourné à la porte. Lorsque celle-ci s’ouvre enfin, le halo de lumière projeté sur la femme signifie autant l’entrée de champ de Jésus que l’irradiation des lieux provoquée par sa présence divine.
Superposer deux récits
Le cinéaste bâtit son film sur cette problématique : comment rattacher une histoire initialement hors champ (la vie de Marie avant sa mission évangélique) au récit du Nouveau Testament ? D’un point de vue strictement religieux, l’enjeu narratif est même de taille : les Écritures ont souvent minimisé le rôle de Marie Madeleine, tandis que l’Église médiévale l’a réduite à une fonction avant tout charnelle — l’incarnation d’une potentielle source de tentation physique pouvant détourner le Christ de sa mission spirituelle (le pape Grégoire Le Grand décrétant vers l’an 600 que Marie était une prostituée).
Le glissement du récit secondaire vers le récit premier s’opère ainsi par un découpage assez rigoureux : lorsque Marie entame son voyage en compagnie des Apôtres, Davis fait le choix de filmer le visage de l’actrice en focale longue, puis de calquer ce plan sur le visage de Phoenix, suggérant la fusion de deux cadres en un champ de vision unique. Le procédé s’apparente donc à une extension de champ plutôt qu’à la mise en place d’un contrechamp, comme si Marie était de facto déjà convaincue par Jésus (tout l’inverse, par exemple, de L’Évangile selon Saint Matthieu de Pasolini, qui reposait sur le principe d’une mise à l’épreuve de la foi). La suite semble confirmer ces intentions, Marie Madeleine étant la seule parfaitement en phase avec la parole du Christ, qu’elle assimile et retranscrit bien plus vite et plus efficacement que les douze autres Apôtres (Simon-Pierre et Judas étant surtout dépeints comme des instrumentistes de la parole prophétique, voyant en ce Messie un leader qui débarrassera la Judée de l’occupation romaine).
Médium personnifié
Ce découpage subjectif révèle finalement très vite ses limites, échouant à figurer de manière constante la question du Pardon et de la Miséricorde autrement que par leur énonciation discursive (les prises de paroles publiques de Jésus) — à l’exception de l’une des dernières séquences du film, où Marie Madeleine embrasse les mains de Judas pour signifier et incarner la figure idéale du Pardon (et ce même si Judas ne se pardonnera pas à lui-même).
Davis finit pourtant par rompre la structure qu’il s’était imposée, par un soudain déchaînement stylistique venant contrarier la sobriété du reste du film. Ainsi, dans la séquence où Jésus saccage le marché dont le commerce nuisait à la religiosité du temple (juste après son entrée triomphale à Jerusalem), Davis couple à la colère du Christ des plans éclairs de sa Passion, tels des stigmates affaiblissant le personnage (et Jésus, dévasté par ces visions, s’effondre). Ce flash forward apparaît comme maladroit puisqu’il repose sur un ressort purement émotionnel et subjectif : contraste entre un accueil chaleureux et une condamnation, puis un lien de cause à effet raccourci entre la colère du Christ et la haine des Pharisiens. Le carton générique final, informant sur le faux statut de prostituée véhiculé par le Vatican, résume in fine la teneur réelle de l’entreprise : la réhabilitation de Marie Madeleine comme témoin privilégié de l’Évangile et de la Résurrection. Aussi louable qu’il puisse paraître, ce projet bien rectiligne manque terriblement de relief.