Il n’y a pas à dire mais décidément, dans les banlieues américaines, on se fait vraiment chier. En tout cas s’il l’on en croit le cinéma US, qui ressasse jusqu’à plus soif l’éternel bovarysme des bourgeoises engoncées dans leurs pavillons qui rêvent d’un avenir plein de sexe loin de leurs beaufs de maris, ou des dits maris lassés de voir leur belles épouses devenir des mères au foyer en jogging. Traités différemment selon l’humeur et le talent des réalisateurs, les films sur la question pullulent sur les écrans depuis le triomphe d’American Beauty et son cynisme éprouvant. Il y a deux ans, le beau We Don’t Live Here Anymore de John Curran ne révolutionnait pas le sujet mais avait le mérite de ne pas traiter ses personnages avec ironie ou condescendance. Depuis, pas grand-chose, excepté une Little Miss Sunshine choupinette mais consensuelle.
Très remarqué avec son premier long métrage, In the Bedroom, intense drame familial sur le deuil et la vengeance qui lui valut une nomination à l’Oscar du meilleur film, Todd Field était attendu comme le messie par une industrie hollywoodienne en mal de futurs grands cinéastes. En adaptant très librement un roman de Tom Perrotta, Les Enfants de chœur, avec l’aide de l’écrivain lui-même, Field revient donc sur le devant de la scène avec Little Children. Kate Winslet, Jennifer Connelly, la banlieue, deux couples en crise, une liaison torride et illicite et un pédophile repenti qui rôde : a priori, les votants aux Oscars sont déjà tout émoustillés, la main sur l’enveloppe.
Hélas, Little Children ne tient aucune promesse, si ce n’est deux ou trois scènes de sexe dans une buanderie dont la moiteur ravivera quelques souvenirs émus aux nostalgiques de 9 semaines et demie. Certes, le décor est bien là, planté tel qu’on l’attendait : les grands pavillons aux intérieurs néo-bourgeois, les parcs et les pelouses remplis d’insupportables bambins et d’horripilantes Desperate Housewives, l’héroïne un peu rebelle, le héros sensible qui porte bien le maillot de bain, et le danger qui gronde sous la forme de ce mal qui obsède ce début de 21e siècle : le pédophile, dont on ne sait trop au début s’il est réellement inoffensif ou toujours dangereux. La présence même de ce personnage pose problème, dans ce qui ne serait autrement rien de plus qu’un inoffensif drame à l’eau de rose un peu chic et toc. Dans les deux premiers tiers du film, Todd Field fait de lui la victime de l’ignorance d’un voisinage qui au pire le harcèle physiquement et psychologiquement, et au mieux le tient à distance avec un subtil mélange de dégoût et de compassion. L’approche, simpliste au possible, diffère radicalement dans la dernière partie, où le pédophile se révèle encore passablement détraqué, jusqu’au twist final (que le réalisateur, dans le dossier de presse, supplie de ne pas révéler – dont acte) qui résout le problème de la façon la plus dégueulasse qui soit – dans tous les sens du terme, le réalisateur se contentant d’une analyse psychologique de comptoir pour tenter de donner à son personnage un tant soit peu d’épaisseur. Au lieu de quoi, il ne se révèle que le catalyseur des pulsions et des frustrations des vrais héros de Little Children, les personnages adultères de Kate Winslet et Patrick Wilson, vendus comme les seuls rayons d’humanité du film pour finalement s’avérer aussi pathétiques que le monde qu’ils vomissent.
Todd Field hait ses personnages – tous, sans exception, mais là où un Robert Altman savait conserver un humour salvateur qui le sauvait du cynisme (dans Short Cuts ou The Player, notamment), Field préfère garder une pose béate devant la plastique irréprochable de ses comédiens (il serait de mauvaise foi de nier que Kate Winslet, une fois de plus cantonnée au rôle de la moche, est splendide). Finalement, Little Children n’est rien d’autre qu’un clip de 2h20 sur des corps huilés et sans vie qui jouent à se faire peur jusqu’à ce que leur rencontre avec le loup les fasse rentrer dare-dare dans leurs tanières. Assez minable, en effet.