En cette 14ème édition, les écrans du Méliès de Montreuil, ont honoré une programmation sagace et composite, autour de la passionnante dialectique Personne/Personnage. Plus d’une vingtaine de films ont révélé aux spectateurs la complexité de la grammaire documentaire et signifié sa nature hétérogène : de l’audace de la forme à la force du fond.
Tahar l’étudiant, réalisé par Cyril Mennegun
Tahar l’étudiant est un beau film, tant pour ses grandes qualités techniques que pour la finesse avec laquelle il aborde une génération trop systématiquement déconsidérée. Ça commence comme un Wiseman, entre les quatre murs d’une institution, puis bientôt, le réalisateur quitte ses « petites roues », et démontre sa grande maîtrise. Tahar l’étudiant trace sa route, sans détour, avec force et pertinence et Cyril Mennegun a sa manière de piloter le film. Empruntant à la fiction ses champs-contrechamps avec ou sans amorce, sa voix-off, et ses jump-cuts, le réalisateur construit le portrait itinérant de Tahar Rahim, quelques mois avant que le cours de sa vie ne le mène sous la direction de Jacques Audiard dans Un prophète.
Tahar revient de loin : étudiant montpelliérain, boursier sans le sous, il cherche ardemment les perspectives d’avenir que lui offre un monde irrationnel, dans lequel la moindre démarche s’annonce insurmontable. Trouver un travail, manger ou rendre visite à ses proches, rien n’est simple sans argent et en attendant de se « jeter à l’eau » (comme le figure la très belle scène de fin au bord de la mer), Tahar se nourrit de pâtes au thon et de cours insipides dans un amphithéâtre dépeuplé. Il est loin le temps de l’insouciance des belles années, mais a‑t-il seulement déjà existé ?
Archipels Nitrate, réalisé par Claudio Pazienza
« On a toujours filmé les trains avant de filmer les femmes. » Cri d’amour au cinéma, aux cinéphiles et aux acteurs, Archipels Nitrate et un documentaire sophistiqué et sensoriel. Claudio Pazienza y compile des images merveilleuses et singulières pour en faire un hommage à la Cinémathèque Royale de Belgique qui devient finalement une véritable ode au 7ème Art.
Si le film dit « je », il entraine très vite le spectateur dans sa spirale d’archives (allant de classiques de l’histoire du cinéma – du Dernier des hommes aux 400 Coups – à des trouvailles exquises) ; spectateur qui, paradoxalement heureux d’être parfois perdu dans ce magma visuel, jouit des juxtapositions savoureuses offertes par le montage. L’approche organique de l’image en pellicule rappelle à chacun les raisons intimes, évidentes ou inconscientes, qui l’ont métamorphosé en cet être sensible qu’est le cinéphile. Et quand la spirale cesse son mouvement, le spectateur reprend peu à peu ses esprits, doucement échoué dans la salle obscure, et apaisé, il s’en va retrouver la lumière extérieure, secrètement enrichi de ces trésors d’images.
Yves, réalisé par Olivier Zabat
Yves, n’est pas un film à sujet. C’est un documentaire qui fait l’expérience d’une autre temporalité cinématographique en se calquant sur celle de son protagoniste, au nom éponyme, travailleur dans un CAT (Centre d’Aide par le Travail). Yves, qui est d’abord dans un rapport élémentaire, quasi photographique à la caméra, perd peu à peu son immobilité et manifeste son désir d’être dans le film, en occupant de son initiative le premier plan du cadre.
Le documentaire est cette alliance au travail entre le filmeur et du filmé. Avec délicatesse, Olivier Zabat installe un dialogue muet, par le prisme de la caméra, qui renoue avec son sens noble de « médium ». La pudeur et l’audace fondent la démarche pragmatique du documentariste dont le film sous-tend des questionnements sur la relation de l’homme au travail alors qu’il filme le CAT sous sa dimension collective.
Et Yves, protagoniste esquissé de ce « conte-documentaire », touche cet autre qui regarde l’écran : le spectateur.