Nous avions déjà dit dans ces colonnes tout le bien que nous pensions de Louise Wimmer, premier long métrage de fiction de Cyril Mennegun. L’édition du film en DVD par Blaq Out permet de retrouver avec bonheur le film, mais met également en lumière la grande cohérence du parcours du cinéaste.
Louise Wimmer déboulant dans la nuit, au volant de sa voiture, au son de l’auto-radio qui passe « Sinnerman » de Nina Simone. Les premières notes seulement, qui s’entêtent à revenir plusieurs fois dans le film, comme pour dire l’opiniâtreté de l’héroïne à se débrouiller, à mener sa barque (en l’occurrence sa Volvo break) coûte que coûte, comme pour dire aussi le répétition des mêmes gestes de survie (trouver un endroit pour se laver, faire démarrer sa voiture, trouver de quoi manger, cumuler plusieurs emplois…). On est frappé, en revoyant le film, par la justesse du montage qui en juxtaposant ces instants de vie, superpose les différentes couches de la vie du personnage, le complexifiant au fil du récit. On admire, également, la large palette de représentations physiques dont le personnage de Louise peut faire l’objet, tantôt élégante, tantôt mal attifée, bougonne ou lumineuse.
Dans le second DVD entièrement consacré aux bonus, le cinéaste, interviewé sous le regard bienveillant de son actrice, revient sur ses intentions, son désir de construire son film, tout comme son personnage, dans un refus de la séduction. « Le sujet d’un film peut être un prétexte pour marquer le spectateur ailleurs. Et pour moi, Louise Wimmer raconte plus de choses sur ce que peut être une femme de cinquante ans, ce que peut être une représentation de femme au cinéma, que sur son sujet. » La marge, les personnages que l’on n’attend pas, et qui sont plus complexes que ce à quoi l’on s’attend, c’est là le sujet que les films du réalisateur semblent chercher à épuiser.
Mennegun dit aussi comment il est entré en cinéma, par la bande, en s’autoproclamant cinéaste avant même d’avoir tourné quoi que ce soit. Il raconte en quoi sa trajectoire d’homme, d’artiste, rejoint celle de ses personnages, tous pris entre une force de vie bouillonnante et les difficultés à joindre les deux bouts. Les premiers projets produits pour des diffusions télévisées ont conduit le cinéaste à filmer au plus près des visages. C’est le cas de Jérémy, dans Une vie d’enfant (2008) – dont on est un peu frustré de ne voir que de très courts extraits. C’est vrai également de Tahar l’étudiant (pas encore Rahim l’acteur), qui lutte contre les obstacles de sa vie d’étudiant pauvre. La ténacité, la volonté du jeune homme de croire qu’il a « destin », bien que toute la réalité de sa vie conduise à penser le contraire ne peuvent que faire penser à ce que Cyril Mennegun raconte de son propre désir de se croire cinéaste avant même de toucher une caméra. La biographie des cinéastes ne compte pas toujours dans la constitution de leur œuvre. On sent à travers ces entretiens que chez Mennegun, sa trajectoire est étroitement liée à celle des gens qu’il filme. Non seulement parce que pour lui, c’est la rencontre qui est première dans le geste de cinéaste, mais aussi parce qu’il a choisi, délibérément, de parler « pour » les siens, de se faire la voix de ceux que l’on n’écoute rarement. Il raconte ainsi la confiance sans borne que lui font ses « personnages », au point qu’ils doivent les freiner dans leur manque d’inhibition. Il évoque aussi remarquablement le mélange de fiction et de documentaire qui, au delà de ses propres films, traverse le cinéma français de ces dernières années.