Rarement un film aura autant subi les affres de l’actualité. D’abord décalée au 18 novembre, la sortie de Made in France a été repoussée sine die à janvier à la suite des attentats de Paris, puis face à l’inquiétude des exploitants, le film est écarté des salles pour atterrir en e‑cinéma le 29 janvier. Long parcours du combattant donc pour le sixième long métrage de Nicolas Boukhrief qui suit la constitution d’une cellule terroriste dans la capitale française.
Les coulisses du djihad
Alors que Made in France devait s’ouvrir par une scène d’attentat sur les Champs-Élysées (le coût trop élevé a finalement eu raison de cette séquence), il débute à la place dans une mosquée fondamentaliste, lors d’un prêche anti-occidental virulent. Le lieu de culte qui nourrit les vocations djihadistes se présente ainsi comme l’alpha du film, passage obligé de la radicalisation rapidement déserté par les personnages, conscients de la nécessité de sortir des radars. Car Sam, Driss, Sidi et Christophe (rebaptisé Youssef), quatre jeunes musulmans français qui attendent fébrilement le retour d’Hassan, un fervent religieux revenu du Pakistan, cherchent un chef, un leader pour les conduire sur la route de la guerre sainte. Tandis qu’Hassan prend peu à peu les rênes du groupe, le projet terroriste se dessine : poser une bombe sur la plus belle avenue du monde.
Deux films en un
À la différence de La Désintégration de Philippe Faucon qui observait le travail de manipulation mentale qui transforme un simple croyant en kamikaze forcené, Made in France se veut avant tout un thriller. Pour ce faire, Sam, l’un des personnages, se révèle un journaliste infiltré, bientôt indic de la police. Cette distanciation, offrant le point de vue d’un musulman modéré, arabophone et connaisseur du coran, permet surtout à Boukhrief de s’ancrer dans la mythologie cinématographique des films d’infiltration. Chaque étape du projet terroriste (s’armer, s’entraîner, choisir une cible, passer à l’acte) se lit ainsi sous le prisme purement narratif (avancée de la préparation de l’attentat) mais se double d’une lecture plus référentielle, jouant avec les codes du polar (informer les forces de l’ordre, protéger sa couverture, s’arranger du dilemme moral qu’on traverse…). En naviguant habilement entre ces deux objectifs, Made in France ménage son suspense tout en orchestrant le crescendo de violence des djihadistes. À cet égard, la musique composée par Rob (le remake de Maniac), métallique, grinçante et oppressante, distille le malaise intrinsèque que les exactions en préparation suscitent.
La fiction, rien que la fiction
Sans se départir d’un humour grinçant (le personnage de Christophe / Youssef, jeune bourgeois breton converti, fan de jeux vidéos et de Scarface, est une trouvaille de choix), Made in France plonge dans les arrière-cours du djihadisme français mais ne cherche aucunement à expliciter les convictions des protagonistes. Hormis quelques scènes dans leur intimité domestique qui ébauchent un profil psychologique succinct, le film évite consciencieusement une quelconque rationalisation sociale de leur engagement. Boukhrief n’est aucunement un documentariste, son Made in France respire la fiction par tous les pores et cette liberté de traitement d’une matière aussi contemporaine, anxiogène et vouée à être étudiée sous toutes les coutures ad nauseam, surtout à la télévision, aurait bien mérité un grand écran.